
HISTOIRE &
ARCHÉOLOGIE
La Gascogne épique

YON
Dans la geste de Renaut de Montauban, Yon, le puissant et généreux roi de Gascogne, accueillit à Bordeaux Renaut et ses frères – les “quatre fils Aymon” – qui, sur le conseil du magicien Maugis, souhaitaient y trouver refuge afin de fuir la colère de Charlemagne. Renaut, l’aîné, proposa à Yon leur service contre sa protection, ce que le roi accepta. Peu de temps plus tard, les Sarrasins menacèrent Bordeaux. Renaut prit la tête de l’armée et repoussa glorieusement les païens, conquérant également l’amitié de Yon. En remerciement, Yon accorda aux fils Aymon un fief en Gascogne où ils édifièrent leur château (le château de Montauban, que la tradition identifie à celui de Cubzac-les-Ponts), et à Renaut la main de sa sœur Clarisse. Quand Charlemagne apprit la situation, il exigea de Yon qu’il lui remît les fils Aymon, ce qu’il refusa. Le roi des Francs réunit alors une immense armée et marcha sur la Gascogne ; il prit le château de Monbendel, le rasa et massacra ses habitants, puis envoya un messager à Yon lui ordonnant à nouveau de lui livrer les frères sans quoi le malheur s’abattrait sur son royaume. Yon, incapable de prendre une décision, réunit son conseil afin de se soumettre au jugement de ses barons : après délibération, ces derniers presque unanimes menacèrent leur roi de le laisser tomber s’il ne livrait pas les quatre étrangers aux Francs. Yon, en larme, accepta et se fit transmettre les instructions à suivre pour les piéger. Malade de chagrin, il se rendit alors à Montauban et chargea les quatre fils Aymon de partir à Vaucouleurs où Charlemagne avait envoyé quatre mille hommes pour leur tendre un guet-apens. Les frères partirent, suite à quoi Yon se laissa dépérir. Mais grâce à l’intervention de Maugis qui avait réuni une armée de Gascons fidèles à Renaut, les jeunes héros sortirent vainqueurs de ce piège et rentrèrent à Montauban. Apprenant leur retour, Yon partit s’isoler dans une abbaye. Mais Roland, paladin de Charlemagne, l’apprit et le fit captif. Renaut, d’abord furieux, comprit finalement que Yon n’avait pas eu le choix et partit le délivrer contre l’avis de tous. Une fois fait, divers combats se succédèrent entre les Gascons et les Français, combats qui aboutirent au siège de Montauban par Charlemagne. La famine devenant insoutenable, les Gascons parvinrent à fuir par des souterrains et se réfugièrent à Trémoigne (Allemagne). Charlemagne reconduisit le siège devant ces nouveaux murs où le roi de Gascogne, malade, mourut1.
Dans la geste des Loherains, Yon roi de Gascogne reçut à Dax plusieurs hommages de Fromont. Toutefois, il n’intervint pas dans la lutte déchirant les Bordelais et les Loherains. Ces derniers finirent de plus par intégrer sa famille suite au mariage de sa fille Clarisse avec Gerbert qui lui succéda à sa mort, survenue au combat contre les Sarrasins2.
Dans la geste des Narbonnais, Yon de Bordeaux, roi de Gascogne, de retour de guerre en Ibérie, accorda la main de sa fille Elissant à Beuves de Commarchis (à condition que celle-ci le voulût bien, à la demande de Beuve). Elissant apporta à son prétendant l’épée Ploresanc et la royauté sur la Gascogne3.
Remarques
Bien qu’aucune œuvre ne lui soit pleinement consacrée et que son rôle soit toujours secondaire, Yon est le roi gascon le plus populaire, le plus présent dans les chansons de geste. Outre celles citées dans les sources principales, on le retrouve encore dans Aiol, Anseïs de Carthage, Les Enfances Guillaume, Le Roman de Girard de Viane, Jehan de Lançon, Le Siège de Barbastre ou encore Guy de Nanteuil.
Yon est un personnage stéréotypé dont les attributs sont hérités du personnage historique duquel il est inspiré, le duc Eudes (du moins de ce qu’était devenu Eudes dans la mémoire de ceux qui vivaient à l’époque de la rédaction des chansons de geste) : indépendance/rébellion et méchanceté/trahison envers les rois francs ; conflit contre les Sarrasins ; grande richesse et source de royauté (par le mariage de ses filles ; peut-être une résurgence de l’histoire semi-légendaire de Lampegia, fille d’Eude)4. Dans certaines chansons, Yon n’est plus qu’un personnage antonomastique destiné à servir une fonction narrative similaire à celle de la matrice gasconne originelle5.
AUtres heros
Sources, crédits
Auteur :
Textes de Benjamin Caùle (OCG).
Notes :
1 E. Grasset : Histoire des quatre fils Aymon très nobles et très vaillans chevaliers, Paris, 1883 ; F. Castets : La chanson des quatre fils Aymon : d’après le manuscrit La Vallière, Genève, 1974 (pour tout l’élément biographique).
2 J.-C. Herbin : « La Geste des Loherains et les annales carolingiennes », Le Moyen Age, 2016/3, tome CXXII, 2016, p. 555.
3 A. Ghidoni : « Chansons de geste alla conquista dell’aquitania: Origini e funzioni di un segno-personaggio », in A. Barbieri et M. Bonafin (dir.) : L’immagine riflessa. Testi, società, culture. Tipologie e identità del personaggio medievale fra modelli antropologici e applicazioni letterarie, année XXIII, n° 1-2, 2014, p. 36 ; H. Suchier : Les Narbonnais : chanson de geste, Paris, 1898, p. 53.
4 Ghidoni op. cit., p. 46.
5 Ibid., p. 48.
Sources principales :
– Anonyme : Renaut de Montauban, fin XIIe siècle.
– Anonyme : Gerbert de Metz, entre 1185 et 1210.
– Anonyme : Les Narbonnais, vers 1210.
Données représentatrices de l’état des connaissances en : août 2022