HISTOIRE &
ARCHÉOLOGIE

Paléolithique ancien et moyen


Nous, Homo sapiens, ne sommes pas les premiers humains à avoir foulé le sol de la Gascogne, région naturelle sise entre Atlantique, Garonne et Pyrénées.
Homo antecessorHomo heidelbergensisHomo neanderthalensis… Ces défunts cousins nous ont largement précédés ; et ils ont par ailleurs fréquenté cette terre bien plus longtemps que nous ne l’avons nous-mêmes occupée à l’heure actuelle.

Fig. n° 1 : visages de l’Humanité.

Les premiers peuplements : Antecessor, Heidelbergensis et Néandertal

L’Acheuléen, ou Paléolithique ancien, correspond à une longue période de temps qui débute en Afrique de l’Est vers -1,7 Ma et se termine il y a environ -150 000 ans en Europe. Les phases les plus anciennes se développent exclusivement en Afrique alors que l’Europe occidentale n’est pas encore peuplée à cette période (fig. n° 2).

Aux abords sud des Pyrénées, le site de Gran Dolina (Atapuerca, Espagne) a livré les plus vieux fossiles humains retrouvés en Europe de l’Ouest datant d’entre -1,2 million d’années et -800 000 ans ; ils appartiennent à Homo antecessor, qui s’intègre dans la variabilité des Homo heidelbergensis. Ces derniers, plus récents (∼800 – 200 ka), ont aussi été identifiés à la Sima de los Huesos (Atapuerca, Espagne) et à la Caune de l’Arago (Tautavel, France). En Gascogne, le seul fossile humain datant de cette période provient de la grotte de la Niche à Montmaurin1. Toutefois, un autre reste isolé est connu dans la cavité de Lezetxiki, en Guipuzcoa.

Homo heidelbergensis évolue vers l’Homme de Néandertal entre environ -400 et -200 000 ans. Il est possible que ces deux espèces aient coexisté durant un temps sur les mêmes territoires. Cependant, La mauvaise résolution chronologique actuelle pour ces périodes et la rareté de restes humains sur les sites archéologiques ne permet pas d’être plus précis. En Gascogne, quelques rares restes humains néandertaliens ont été mis au jour dans la grotte Gatzarria (64), celle de Coupe-Gorge (31) et celle du Noisetier (65) et il s’agit majoritairement de restes dentaires isolés. Comme pour la transition entre Heidelbergensis et Néandertal, la question des causes de la disparition des populations néandertaliennes peu avant – 40 000 ans simultanément à l’arrivé de l’Homme anatomiquement moderne en Europe occidentale est un sujet très débattu : les hypothèses de compétition ou d’hybridation des populations sont défendues. Cela relève probablement de facteurs multiples2.

Fig. n° 2 : arbre généalogique de l’évolution des hominidés.

Le climat et ses oscillations

Depuis les premières implantations humaines jusqu’à la disparition des derniers Néandertaliens le climat n’a pas été constant. Les chronologies isotopiques de l’oxygène dans les sédiments marins permettent d’identifier les oscillations des températures terrestres. Des phases glaciaires et interglaciaires se sont succédées, au sein desquelles d’importantes variations de températures s’expriment de manière abrupte ou graduelle3. Durant les évènements les plus froids, il est probable que l’occupation de la région soit différenciée. Des géomorphologues ont notamment proposé que le couloir de la Garonne ait été particulièrement venteux à certains moments de son histoire, comme le désert sableux des Landes, formant des zones inhospitalières qui ont pu fonctionner comme des barrières naturelles scindant l’Aquitaine entre le nord et le sud4. Par ailleurs les zones montagneuses devaient subir des écarts de températures plus importants du fait de l’altitude et durant les phases glaciaires, les glaciers pyrénéens étaient plus étendus5. S’ils ne constituaient pas une barrière infranchissable pour les passages vers la Péninsule ibérique, il est cependant probable que l’occupation de ces zones d’altitude soient restées plutôt saisonnière durant les phases de dégradation climatique.

Des paysages variés et des ressources dispersées

La Gascogne est composée de zones géomorphologiques diversifiées. Les principales entités sont le littoral basco-landais, le triangle sableux des Landes, le bassin de l’Adour, les coteaux tertiaires entre Adour et Garonne et le piémont nord-pyrénéen (fig. n° 3). Ces différences géomorphologiques importantes créent un territoire en mosaïque qui induit des variations climatiques et environnementales avec une distribution de la faune et de la flore variée. Les ressources y sont donc diversifiées et dispersées de manière inégale.

Fig. n° 3 : principales entités géomorphologiques de la Gascogne.

Si l’on considère la carte de distribution des ressources en silex, matière première essentielle au quotidien des populations nomades paléolithiques pour la confection d’outils, on s’aperçoit que les zones d’affleurements se répartissent principalement sur la zone littorale et dans le bassin sud de l’Adour. Quelques autres sont connus également dans la zone de piémont nord-pyrénéenne, à Iholdy, Hibarette ou les Petites Pyrénées. Ces silex se différencient les uns des autres grâce aux études pétrographiques, surtout par l’identification des micro-fossiles piégés au moment de leur formation qui sont caractéristiques de l’étage géologique dont ils proviennent. De cette manière, il est possible de différencier avec certitude un silex provenant de Chalosse d’un silex provenant d’Hibarette ou de Bidache6.

Les industries connues et leur chronologie

Le Paléolithique ancien, premières traces de peuplement humain

Les sites de cette période, l’Acheuléen, connus en Pays gascon sont tous en plein-air. Nous pouvons évoquer la falaise de Chabiague à Biarritz7, le Prissé et Jupiter à Bayonne8, Duclos et Sepsos sur le tracé de l’Autoroute A659 et Bidau à Garlin à toujours dans le bassin de l’Adour10,  Cazalège à Castelnau-d’Auzan11 ou encore Lanne-Darré à Uglas12.

Fig. n° 4 : distribution des sites connus du Paléolithique ancien et moyen en Gascogne.

Si les industries lithiques associées aux plus anciennes occupations humaines sont élaborées principalement sur galets dans l’objectif d’obtenir des outils massifs à tranchant simple, des choppers et chopping-tools, les industries acheuléennes deviennent plus complexes et diversifiées dans leur processus de fabrication, incluant dans leur gamme d’outils des bifaces, des hachereaux et des trièdres. Sur le territoire gascon, ils sont notamment connus à Lanne-Darré en Bigorre, ou à Duclos en Béarn13.


Fig. n° 5 : Lanne-Darré, Uglas, 65 : 1 : Biface en quartzite ; 2 : Hachereau en quartzite.

Les sites ayant fait l’objet de fouilles sont peu nombreux, mais les prospections pédestres ont aussi permis de mettre en évidence de nombreux indices de sites à travers toute la région, mais ils sont dans des positions hors de tout contexte stratigraphique, dans les labours. En Chalosse, les résultats d’importantes prospections ont été publiés par Cl. Thibaut dans sa thèse sur les terrains quaternaires du bassin de l’Adour14. Il y évoque d’ailleurs une spécificité de l’Acheuléen dans ce secteur avec la production des fameux « pics chalossais ».


Fig. n° 6 : Pic chalossais de Seps.

Le Paléolithique moyen ancien : une phase peu documentée

Durant cette phase, le petit outillage retouché sur éclat se généralise, principalement sous la forme de racloirs et des denticulés. Plus légers et maniables, ces outils sur éclats vont se diversifier et devenir majoritaires dans les outillages de pierre conçus par les populations néandertaliennes jusqu’à largement supplanter les macro-outils.

Des concepts de production d’éclats plus complexes qu’auparavant, permettant de contrôler la morphologie des éclats recherchés, vont alors se systématiser, notamment les débitages Levallois et Discoïde. C’est généralement l’apparition du débitage Levallois qui marque l’émergence du Paléolithique moyen, au sein d’un processus de continuité. Une phase de coexistence entre des sites attribuables au Paléolithique ancien et au Paléolithique moyen ancien se déroule entre les stades isotopiques 8 et 6 dans le sud-ouest de l’Europe15. C’est aussi le cas en Gascogne avec les sites de Duclos et de Romentères dont les résultats des datations radiométriques ont donné des âges proches alors que leurs industries diffèrent pourtant nettement (fig. n° 7). L’un d’eux peut être considéré comme Acheuléen tandis que l’autre est attribuable au Paléolithique moyen ancien16.

Fig. n° 7

Le Paléolithique moyen récent : la Gascogne néandertalienne

Plus on avance dans le temps, et plus la chronologie devient plus précise et permet de différencier des phases et des faciès.

Ainsi, le Paléolithique moyen récent est considéré comme un moment où les industries changent rapidement dans le temps et dans l’espace dans l’ouest de l’Europe.

  • On distingue tout d’abord les industries contemporaines du MIS 5 (environ 110 à 80 000 ans avant le présent). Cette phase correspond à une phase climatique chaude de la chronologie isotopique. Les industries en silex sont assez homogènes durant cette phase à l’échelle européenne : c’est le moment de l’explosion du débitage Levallois. Dans le sud-ouest de la France, on trouve parfois la présence de bifaces associée à ce débitage. Les niveaux archéologiques de cet âge sont relativement rares en Gascogne, mais on les trouve notamment au Prissé et à Jupiter (Bayonne, 64), probablement à Gatzarria (Ossas-Suhare, 64), ainsi qu’à Bouheben (Baigts, 40)17. Les occupations relatives au MIS 5 sont surtout particulièrement bien représentées en Péninsule ibérique alors qu’elles sont rares dans le sud-ouest de la France.
  • Durant le MIS 4 (environ 80 à 60 000 ans avant le présent), qui est une phase de dégradation climatique, le froid s’installe et les stratégies d’occupation des territoires changent. Les sites de cette période sont rares à l’exception de ceux attribués au groupe Quina qui datent de la fin du MIS 4 et du début du MIS 3 (- 60 à 50 000 ans). Bien que des datations précises soient encore en cours, le Paléolithique moyen de type Quina est identifié à Gatzarria (64), à Haut Mauco (40) et des indices de surface sont également connus à Lestaulan (Bayonne, 64) et à Lario (Fabas, 09)18.
Fig. n° 8 : Répartition des sites attribués au Moustérien de type Quina.
  • Durant la première moitié du MIS 3 (entre 55 et 42 000 ans19 avant le présent) dans le sud du Bassin aquitain et jusqu’en Cantabrie, certaines industries contiennent encore des outils emblématiques du Paléolithique ancien : des hachereaux et des bifaces. Ce phénomène peut s’interpréter comme une perduration des macro-outils depuis le Paléolithique ancien, ou bien comme des réapparitions à différents moments en fonction de besoins liés aux changements climatiques et/ou de traditions techniques des groupes humains pendant cette période20. Dans d’autres régions d’Europe aussi, la production de bifaces se développe dans différentes industries du Paléolithique moyen récent au MIS 3, sans que les datations ne permettent pour le moment d’affirmer la stricte contemporanéité de ces industries entre elles. En revanche, concernant les hachereaux, leur présence tardive dans des industries du Paléolithique moyen récent du sud de la Garonne jusqu’à la Cantabrie est une spécificité unique dans toute l’Europe. Ce phénomène a une extension relativement circonscrite s’arrêtant à l’Est de la Gascogne dans la partie centrale des Pyrénées à la grotte du Noisetier21 et au Nord à Montbartier, sur un site récemment découvert et fouillé par les acteurs-rices de l’archéologie préventive à la confluence Tarn/Garonne22.
Fig. n° 9

Les modes de vies

Ces populations de chasseurs-cueilleurs-collecteurs avaient des modes de vie nomade. La complémentarité saisonnière des disponibilités des ressources a probablement joué un rôle important dans leurs choix de stratégies de mobilité.

Au Paléolithique ancien, les sites archéologiques témoignent d’occupations où des activités diversifiées étaient menées. Ils correspondent donc à des habitats généralistes où tous les aspects de la vie quotidienne se déroulaient. Les groupes humains devaient se déplacer de proche en proche en fonction des saisons et de la mobilité des troupeaux.

Au Paléolithique moyen récent, la situation est bien différente : les sites apparaissent plus complémentaires, avec des spécialisations d’activités qui y sont menées. Par exemple, le site de Mauran (Haute-Garonne) qui a été interprété comme un site d’abattage spécialisé de bisons23. D’autres sont centrés sur l’acquisition de matières premières et la production d’éclats comme le Prissé et Jupiter à Bayonne24. D’autres sites correspondent plutôt à des campements de base à vocation domestique sont aussi documentés. Dans ces sites, souvent en grotte ou abri, le nombre d’outils sur éclat est important avec des cycles d’utilisation et de réaffûtage intenses. Les matières premières régionales dont ils sont issus sont d’origines diversifiées qui convergent dans ces occupations25.

Ces différents types de sites paraissent indiquer le développement d’une planification importante des déplacements et de la gestion des ressources au sein du territoire. Cela exprimerait une complexification de la structuration économique et sociale des groupes humains néandertaliens par rapport à leurs ancêtres Homo heidelbergensis.

Fig. n° 10 : reconstitution artistique d’un homme et d’une femme de Néandertal.

Les expressions symboliques

La question des comportements symboliques chez l’Homme de Neandertal est complexe. Si les Néandertaliens n’ont pas produit d’art figuratif dans les grottes, à l’image de ce qui est connu pour le Paléolithique supérieur, ils ont toutefois fréquenté les milieux souterrains, loin de la lumière du jour, comme à Bruniquel où ils ont aménagé une salle avec des concrétions brisées disposées en cercle. Des signes colorés sur les parois de plusieurs grottes en Espagne datés par des échantillons prélevés dans la calcite qui les recouvrent attribuent à ces expressions picturales à Néandertal. Cependant, les résultats de ces datations font débat au sein de la communauté scientifique spécialiste et aucune des traces peintes en question ne relève de figurations. Cela n’en diminue cependant pas pour autant la portée symbolique puissante dont sont emprunts ces signes.

Ainsi, différents types de comportements sont évocateurs d’une pensée symbolique qui implique une grande complexité cognitive chez ces populations.

Ce registre s’exprime de différentes façons, notamment par les pratiques funéraires, bien que le caractère intentionnel des sépultures néandertaliennes fasse encore régulièrement l’objet de débats26. Des ornements personnels ont aussi été retrouvés dans différents niveaux du Paléolithique moyen de la Péninsule ibérique27 et des gravures linéaires en croisillons ont été identifiées dans la grotte du Noisetier. L’utilisation de colorants est aussi avérée à Olha II grâce à un bloc d’hématite utilisé en raclage ou frottements28.

Un aspect esthétique est aussi parfois attribué aux bifaces dont la symétrie ne constituerait pas seulement une nécessité fonctionnelle. La dimension esthétique et symbolique dans les bifaces est d’ailleurs évoquée comme l’une, si ce n’est la plus ancienne trace de symbolisme qui serait antérieure à Néandertal.

Fig. n° 11 : reconstitution artistique de l’homme de Spy, l’un des premiers Néandertaliens à avoir été mis au jour, en 1886 en Belgique.

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Notes, sources, crédits

Auteurs :
Marianne Deschamps (CNRS ; UMR TRACES) et David Colonge (INRAP ; UMR TRACES).

Notes :
1 Vialet, et al., 2018.
2 Braga, et al. 2016.
3 Sánchez-Goñi, 2006.
4 Bruxelles et Jarry, 2011 ; Bertran, et al., 2013.
5 Delmas, et al. 2012.
6 p. ex. Minet, et al. 2021.
7 Chauchat, et al., 1978.
8 Colonge et al. 2015.
9 Colonge, et al. 2022.
10 Taylor et al. 2020.
11 Millet et al. 1999.
12 Colonge, et Texier 2005.
13 Colonge, et al. 2012 ; Capdevielle, 2021.
14 Thibault, 1970.
15 Colonge, et. al. 2014 ; Santonja, et. al. 2015.
16 Colonge, et al., 2022.
17 Perrotte, 2021.
18 Chauchat, 1990, Sanson, 2012.
19 La date de 42 000 ans avant le présent est généralement retenue comme terminus post quem pour la disparition avérée des populations néandertaliennes en Europe de l’Ouest, au moment où elles sont supplantées par les populations d’Homo sapiens.
20 Deschamps, 2014.
21 Mourre et Thiébaut, 2009.
22 Colonge, et al, à paraître ; Viallet, dir.
23 Farizy, et al. 1994 ; Rendu, et al. 2012.
24 Deschamps, et al. 2016.
25 Minet, et al., 2021.
26 Rendu, et al. 2016.
27 Zilhão, 2012.
28 Deschamps, 2009.

Sources principales :

> Et de nombreux travaux scientifiques disponibles ici.

Crédits :
– Figure 1 : É. Daynès.
– Figure 2 : Hominides.com
– Figure 3 : Fond de carte : Bruxelles et Jarry, 2012.
– Figure 4 : D. Colonge et ali., 2022.
– Figure 6 : Thibault, 1970.
– Figure 7 : D. Colonge et ali., 2022.
– Figure 8 : Delagnes et ali., 2007.
– Figure 9 : M. Deschamps, 2017.
– Figure 10 : É. Daynès.
– Figure 11 : AWPA ASBL.

Dernières modifications : juin 2023