HISTOIRE &
ARCHÉOLOGIE

Premier
Moyen Âge


En 476, à la chute de l’Empire romain d’Occident, la Novempopulanie constituait déjà une partie du royaume aquitanique des Wisigoths, guerriers germaniques installés le long de la vallée de la Garonne en 418 en tant que peuple fédéré puis devenus indépendants en 466 sous le règne d’Euric1. Mais en 507, un autre peuple du Nord vint à la confrontation. Les Francs, menés par Clovis, l’emportèrent sur les Wisigoths : ils prirent les terres situées entre Loire et Garonne en 507, puis passèrent la Garonne pour marcher sur la Novempopulanie en 511. Jusque-là et jusqu’à la fin du VIe siècle, les habitants de la Novempopulanie furent visiblement peu enclins à faire reconnaître leur particularisme culturel2 par le biais de l’expression politique3. Ou du moins n’en eurent-ils pas l’occasion, les conflits religieux entre arianisme wisigothique et catholicisme romain ayant peut-être monopolisé l’action des pouvoirs locaux avant que ceux-ci ne subissent les interminables guerres fratricides mérovingiennes ; si bien que les générations passèrent sans que jamais il n’y eût une cité novempopulanienne épargnée par les flammes.

Mais à la fin du VIe siècle donc, les choses changèrent. La Novempopulanie se mit à mener une lutte focalisée contre le pouvoir franc ; une lutte qui, de révoltes en révoltes, aboutit à la constitution d’une principauté puissante et redoutée qui fut, la majeure partie du temps, indépendante au moins jusqu’au XIIIe siècle4.

Fig. n° 1 : carte simplifiée de la Novempopulanie.

Aquitania et Wasconia

Tout comme le nom « Aquitania » – qui désignait originellement le Sud de la Garonne avant de s’appliquer au Sud et au Nord du fleuve puis seulement au Nord –, « Wasconia » fut un terme vagabond et reste aujourd’hui, selon les époques, difficile à cerner avec précision.  « Wasconia » vient du nom du peuple des Wascones, lui-même issu de celui du peuple antique des Vascones5. Le fait que les habitants la Novempopulanie fussent devenus des Wascones a souvent fait penser que ces derniers, venant de l’actuelle Navarre espagnole, avaient envahis la Novempopulanie et y avaient imposé leur nom – tout en considérant que les deux peuples étaient déjà intimement liés sur le plan linguistico-culturel, ce qui aurait facilité voire favorisé le processus. Il est vrai que la première mention concernant les Wascones apparaît en contexte militaire ; mais il n’est pas clairement fait question d’invasion : il pourrait très bien s’agir d’insurrection ou de représailles6. L ’ « invasion » se serait-elle produite avant ? Ou, plutôt, ne serait-elle pas seulement celle de quelques commandants Wascones en déroute venus se hisser en chefs de file des rébellions novempopulaniennes7 ? Cela paraît possible8. Ou finalement, ne faudrait-il pas y voir une simple manipulation rhétorique ? En effet, l’ethnonyme antique « Vascones » avait dans la tradition littéraire alto-médiévale une connotation péjorative ; l’appliquer à une population locale rebelle aurait eu pour but de la dévaloriser9. Car force est de constater que c’est à la suite de nombreuses révoltes (581, 587, 602, 626) que le nom de « Novempopulania » laissa sa place à celui de « Wasconia », visiblement vite assumé et adopté par les habitants – du moins par les dirigeants – parce qu’associé à une formation politique forte10.

Toutefois, selon R. Mussot-Goulard, « Wasconia » aurait désigné dès les temps wisigothiques une aire bien plus importante que celle de la Novempopulanie, comprise entre la Loire et les Pyrénées11. Mais si l’on met de côté son argumentation – qui est fort délicate12 –, cet état de fait ne se rencontre qu’à partir du VIIIe siècle. En effet, de nombreuses chroniques de cette époque appellent « Wascones » les populations de ce vaste territoire, même si elles savent distinguer, lorsqu’elles se veulent précises, les Wascones du Sud de la Garonne (les « vrais ») des habitants du Nord de ce même fleuve, qualifiés de « romains ». Dans tous les cas, il s’agit de sources postérieures à la création de la principauté fondée par le duc Loup, qui aux environs de 710 s’était effectivement étendue depuis les Pyrénées jusqu’à la Loire et dont la zone frontalière septentrionale reste encore aujourd’hui parsemée de toponymes témoignant la présence des Wascones13. Comment comprendre alors cet élargissement vers le nord de l’aire d’application du terme « Wasconia » autrement que par le développement de la principauté de Loup ? Par la même, cela confirmerait que cette dernière était bien considérée comme une entité politique vasconne, et non pas seulement en raison de la présence de troupes vasconnes dans ses forces armées14. Loup était-il lui-même vascon ?

Fig. n° 2 : Gascogne et Aquitaine

Bien que son pouvoir semble avoir été fondé sur la maîtrise de la Wasconia, ses origines demeurent inconnues. C. Settipani propose de le lier à une famille gallo-romaine champenoise au sein de laquelle le nom Loup est extrêmement fréquent, bien qu’il avoue que, seul, « l’argument onomastique n’a pas de force réelle »15. Possessionné en Orléanais mais aussi en Vasconie, Loup aurait pu être issu d’une alliance entre des familles originaires de ces deux pays : le fait qu’il fut porté au pouvoir contre l’avis des Francs, que sa principauté fut appelée « Wasconia » et qu’il fut à la tête de cavaliers vascons semble en effet aller dans ce sens ; et un chef vascon nommé Arnaut, le père de sainte Rictrude, pourrait bien avoir été son grand-père.

Ce qui expliquerait pourquoi on retrouve Loup à la tête des Vascons quand, dans les années 660, il s’allia au duc Félix qui commandait à Toulouse depuis 659 une Marche constituée des cités de la rive droite de la Garonne, comprenant peut-être même Bordeaux16. Vers 671, contre l’avis des Francs donc, Loup se fit élire à la succession de Félix17. Devenu maître de la Marche garonnaise et de Bordeaux, il étendit ensuite son pouvoir sur Périgueux, Angoulême, Saintes et Limoges. Si la puissance de sa principauté n’est pas contestée, certains n’hésitent pas à aller jusqu’à qualifier ses pouvoirs de « royaux », avec un potentiel sacre à Saint-Martial de Limoges en 676, date à partir de laquelle il disparaît des sources.

Après Loup, les ducs Eudes (au moins de 688 à 735), Hunald (735-745) et Gaïfar (ou Waifre, ou Gaifer ; 745-768) luttèrent férocement contre les Francs pour maintenir la grandeur de la principauté étendue alors jusqu’à la Loire18. Cette lignée descendait-elle du fondateur ? Nous n’en savons rien19. Leur principauté, quant à elle, était en tout cas encore considérée par certaines sources franques comme vasconne. Certes, dans le Miracula Austresigili, Eudes est dit « prince des Aquitains » – terme qui passera à la postérité –, mais le texte, anachronique, date du IXe siècle, époque où les Francs avaient reconquis le Nord de la Garonne alors depuis définitivement baptisé « Aquitaine », laissant au sud du fleuve le nom « Wasconia ». Ce ne fut qu’après cette reconquête carolingienne que l’ethnonyme médiéval « aquitain », création franque, s’imposa dans les sources ; tandis que celles contemporaines d’Eudes considéraient que, venant du Nord, dès passé la Loire on entrait en Vasconie. Cela ne veut pas nécessairement dire que ces princes étaient eux-mêmes vascons, ni qu’ils étaient également à la tête du Sud de la Garonne après Loup, même si le gros de leurs troupes restait vascon. De plus, comme nous l’avons vu, il faut prendre en considération qu’il existait une tradition littéraire à propos de l’usage des termes « Wascones » et « Wasconia » : ces derniers auraient été utilisés avant tout comme synonymes de « barbares », « sauvages », « pillards », et donc pour qualifier des « territoires révoltés » et « incontrôlés ». Mais cette considération ne doit pas non plus, selon nous, être excluante de tout autre sens20. Il ne serait toutefois pas étonnant qu’Eudes et ses successeurs eussent eux-mêmes nommé leur principauté « Aquitaine », car c’est ce terme qui, depuis Auguste en passant par les Wisigoths, avait toujours désigné la réunion de ce vaste ensemble compris entre Loire et Pyrénées, terme qui n’était pas oublié et existait encore dans le nom des provinces ecclésiastiques nord-garonnaises. Ce nom apportait une légitimité toute historique issue des nobles temps antiques, qui aurait certainement pu intéresser les princes soi-disant défenseurs de la romanité face aux Francs21.

Fig. n° 3 : mappemonde du Beatus de Saint-Sever, XIe siècle.

Quoi qu’il en fût, depuis longtemps déjà la mémoire des poètes a choisi pour nous : car la résistance et la bravoure retentissante de cette famille princière, qui marqua durablement les esprits, inspira de grandioses épopées qui firent entrer le nom de la Gascogne dans les chansons de geste et les légendes à travers les personnages de « Yon roi de Gascogne », « Huon de Bordeaux » et « Gaifier de Bordeles »22.

Focus :

La Gascogne épique, ou la geste des Gascons

Il est à noter que l’épithète de ces deux derniers personnages est liée à la ville de Bordeaux. Mais Bordeaux : gasconne ou aquitaine ? Pendant l’Antiquité, Bordeaux était la capitale de l’Aquitaine seconde et non celle de la Novempopulanie23. Mais au début du VIIe siècle, la cité bordelaise devenue comté24 s’était définitivement tournée vers la Vasconie dont elle devait assurer la surveillance. Toutefois, le comté ne fit partie stricto sensu de cette dernière qu’au XIIe siècle : jusqu’alors, bien que culturellement gascon25, le territoire et les habitants du comté étaient considérés comme « bordelais ». Les chansons de geste, pour la majorité composées entre le XIe et le XIVe siècle – mais issues de traditions orales plus anciennes –, témoignent très bien de cette ambiguïté : pour les auteurs du « Nord », quand il ne commençait pas à la Loire, l’espace gascon correspondait au Sud de la Garonne et à l’Entre-deux-mer et était représenté par Bordeaux ; mais hormis cette ville, la connaissance de l’existence de grandes landes à ses portes, de Dax et de Belin, le reste de la géographie gasconne leur demeurait floue. C’était pour eux un territoire aux lieux mouvants, dont les habitants étaient nommés Gascons ou Bordelais26. Un territoire méconnu qui, dans les légendes comme dans les faits, était la destination d’exil par excellence pour tout rebelle s’opposant au pouvoir franc ; car là-bas, en ces confins éloignés du monde germanique, tenait tête un obscur lignage de princes autochtones.

Fig. n° 4 : conflits politiques en Gascogne.

La saga des Princes de Vasconie

En 768, peu avant de mourir, et à la suite de nombreuses années de lutte, Pépin le Bref parvint à triompher de celui qui fut l’un de ses plus grands ennemis : le duc Gaïfar27. Le fils de ce dernier, Hunald28, tenta comme son père de se soulever contre les Francs mais le successeur de Pépin, Charlemagne, le contraignit à se réfugier au Sud de la Garonne où gouvernait alors un certain Loup, « prince des Vascons »29. Sous la pression de Charlemagne, Loup livra sans tarder Hunald aux Francs qui repartirent ainsi dans leur Nord sans plus se soucier de la Vasconie. Du moins pendant presque dix ans. Car en 778, au retour de sa désastreuse campagne espagnole, alors qu’il traversait les Pyrénées vasconnes, Charlemagne se fit surprendre : c’est la fameuse bataille de Roncevaux. On ne sait si Loup y prit part ; certains le pensent et imaginent qu’il y aurait trouvé la mort, car on retrouve son fils, Sants Loup30, à la cour du roi des Francs où il fut éduqué en tant qu’otage.

Fig. n° 5 : Roland à Roncevaux.

En 781, Charlemagne créa le royaume d’Aquitaine qu’il donna à son fils de 3 ans, Louis. Bien entendu, des hommes de confiance furent nommés afin d’assurer la « régence » de ce royaume, dont les plus puissants seigneurs étaient les comtes de Toulouse, ville assurant le rôle de capitale. L’installation dans cette cité d’un comte franc, qualifié aussi de duc d’Aquitaine, semble avoir eu pour but premier de surveiller et de maîtriser la Vasconie toujours rebelle. En effet, vers 789 une nouvelle révolte éclata et le chef vascon Adalaric réussit à faire prisonnier le comte toulousain Chorson. C’est pour remplacer ce dernier que Charlemagne nomma alors le « Grand » Guillaume de Gellone. Victorieux des Vascons, celui-ci aurait fondé une marche destinée à consolider son autorité aux portes du Toulousain : le comté de Fézensac. Mais les révoltes ne cessèrent pas pour autant. En 800 ou 801, lors de la nomination d’un nouveau comte de Fézensac – Leuthard –, les Vascons se rebellèrent une nouvelle fois et décimèrent les soldats francs dont certains connurent une mort atroce, brûlés vifs. C’est dans ce contexte violent, sans que l’on ne connaisse son rôle dans l’affaire, que l’on voit réapparaître Sants, le fils de feu Loup, qui alors « gouvernait sa propre nation ».

Sants Loup aurait en effet été renvoyé en cette année 800/801 dans son pays, probablement en tant que duc de Vasconie. Il jouissait d’un pouvoir autonome sur ses terres et sa vive participation au plaid de Toulouse, concernant probablement la nomination de Leuthard mais surtout le siège de Barcelone, fut remarquée. S’opposant à cette attaque31, c’est aussi à la volonté du roi Louis qu’il s’opposa farouchement, presque en tant qu’égal, même si le siège fut finalement voté et que, demeurant fidèle, il y participa glorieusement aux côtés des francs à la tête de ses troupes vasconnes. Capitaine aguerri, le « prince des Vascons » et « meilleur cavalier de Pampelune » mena par la suite de nombreuses batailles contre les Sarrasins et c’est face à eux qu’il aurait trouvé la mort en 816, avec son frère Garsia Loup, lors de la grande bataille de Wadi Arun.

Peut-être était-il justement occupé sur le champ de bataille lorsqu’en 812 Louis dut intervenir dans sa principauté à la suite de plusieurs révoltes. Parvenu à Dax, le roi d’Aquitaine convoqua les rebelles mais ceux-ci ne se manifestèrent pas ; il laissa alors son armée ravager les domaines et les biens des leaders ennemis afin de les obliger à se présenter à lui pour se soumettre, ce qu’ils finirent par faire. Après cela, Louis partit pour Pampelune régler quelques affaires « publiques et privées ». Sur le chemin du retour, il déjoua une embuscade prévue dans les cols pyrénéens et fut contraint de prendre des femmes et des enfants en otage pour éviter un nouveau Roncevaux. Quelles étaient donc ces affaires pampelonnaises publiques et privées ? Nous l’ignorons. Peut-être y vit-il Sants Loup ? Peut-être le déposa-t-il de son pouvoir et nomma-t-il à sa place un certain Seguin32 ? Car ce dernier possédait assurément en 816 les titres de comte de Bordeaux et de duc de Vasconie. Mais peut-être ne les avait-il obtenus qu’à la mort de Sants Loup ? Si tel fut le cas, il n’en profita pas longtemps : Louis (devenu Empereur des Francs deux ans auparavant), jugeant son attitude rebelle, le destitua en cette même année 816. Alors, comme à leur habitude, les Vascons se révoltèrent. Louis ne céda pas et aurait nommé un présumé Totilon à la tête du comté ; en opposition, les Vascons élurent à leur tête Garsia Semen33, qui mourut seulement deux ans plus tard, en 818.

Fig. n° 6 : guerriers, Beatus de Saint-Sever, XIe siècle.

Dès 819, une nouvelle action fut portée par Loup Centulh et son frère Garsia Centulh34 dans l’Est de la Vasconie. Pépin Ier, ayant succédé à son père Louis au titre de roi d’Aquitaine, intervint en personne et dépêcha deux puissantes armées menées par Warin, comte de Clermont, et Bérenger, comte de Toulouse – ce qui témoigne de l’ampleur de la révolte. Les Vascons furent défaits, Garsia Centulh perdit la vie et Loup Centulh fut déporté. Cet épisode nous apprend par ailleurs que la Vasconie était alors fortement divisée en interne, probablement en raison de luttes de clans se disputant le pouvoir et s’affrontant au sujet de la politique à mener envers les Francs ; l’épidémie frappant les bêtes et les hommes ainsi que les mauvaises récoltes de 820 aggravant certainement la situation.

Aznar Sants, fils probable de Sants Loup, est mentionné comme étant « comte » en 824, titre précisé en 836 de « Vasconie citérieure »35. Si en 824 il semble obéir aux ordres de Pépin Ier – il participa à une campagne en Navarre qui tourna mal36 – il se révolta finalement contre lui en 83037 ; ce qui l’amena à subir une « mort horrible » six ans plus tard38.

Son frère Sants Sants lui succéda sans l’accord de Pépin Ier qui de toute façon décéda peu après, en 838. Louis le Pieux nomma alors roi d’Aquitaine son autre fils, Charles le Chauve, au détriment de son petit-fils Pépin II : une guerre familiale éclata, entérinée par la mort de Louis en 840. Des temps sombres émergent souvent de grands héros : Sants Sants fut assurément l’un d’eux, au point que ce que l’on sait de lui n’est probablement que fantasme. Menant une vie guerrière, il aurait livré maints combats et dut parfois faire face sur plusieurs fronts à la fois, à l’extérieur de la Vasconie contre les Sarrasins comme sur ses terres contre les Normands. Agissant d’eux-mêmes ou à la solde de Pépin II, ces derniers s’attaquèrent à la Vasconie par Adour et Garonne : Bordeaux leur résista en 844 et en 845 – même si cette seconde tentative eut pour conséquence la mort de son comte Seguin39 – mais céda en 848 et sa population se fit massacrer. La disparition de son nouveau comte, Guillaume, fait prisonnier par les Normands, permit à Sants Sants de s’emparer du comté bordelais et d’être reconnu duc de Vasconie par Charles le Chauve, vainqueur de Pépin II. 

Les attaques vikings ne cessèrent pas pour autant (bien que leur nombre et leur impact fussent probablement assez limités), ni les campagnes en Espagne contre les Sarrasins ; Sants Sants aurait déployé tant de courage et d’énergie qu’il lui valut d’être comparé à Samson et qu’il resta longtemps dans les souvenirs des hommes du Moyen Âge, devenant un héros semi-légendaire : Mitarra40.

À sa mort, vers 864, son neveu Arnaut lui succéda au comté de Bordeaux et duché de Vasconie. Le destin de ce dernier demeure obscur ; peut-être mourut-il dès 864 en combattant les Vikings41 ; peut-être en 871, période où les sources mentionnent l’existence de Sants Mitarra, fils de Mitarra, qui aurait possédé le titre de rex ; ou peut-être encore vers 887 quand un certain Amauvin récupéra le comté bordelais. Dans ce dernier cas, il conviendrait alors d’expliquer la présence de deux chefs vascons dont les pouvoirs semblent se chevaucher, celui d’Arnaut en tant que duc de Vasconie et celui de Sants Mitarra en tant que rex. S’il reste difficile de démêler la réalité des éléments légendaires et des ajustements à dessein politique façonnés par des sources postérieures à l’époque concernée, l’indépendance de facto de la Vasconie ne fait toutefois aucun doute.

En tout état de cause il est certain qu’en 887, pour des raisons inconnues, le comté bordelais avait échappé aux Vascons au profit d’Amauvin et qu’à cette même date Garsia Sants dit le Courbé possédait le titre de « comte et marquis jusqu’aux confins de l’océan ». Peut-être de lignée mitarride42, sa puissance politique dut être grande : fondation du monastère de Condom (qui rayonna sur toute la Vasconie, par volonté de sa femme Amuna), efficace politique d’alliances matrimoniales, assurance de la fidélité des princes vascons (même celle de Doat de Bigorre, dont les domaines n’étaient pas sous l’autorité de Garsia Sants), entretien de monastères et intervention militaire au sud des Pyrénées… Son règne ne fut pas sans conséquence pour la Vasconie. 

Fig. n° 7 : abbaye de Saint-Sever.

En 920, l’aîné de Garsia Sants, Sants Garsia, hérita de l’autorité de son père43 et la transmit à son tour à son fils Guilhem Sants en 960. Ce dernier, après avoir passé une grande partie de sa jeunesse au Sud des Pyrénées à affronter les Sarrasins aux côtés du roi de Navarre (dont il épousa la sœur Urraca), récolta les fruits de la stratégie d’alliance de son grand père : vers 977, son cousin le comte de Bordeaux, Guilhem le Bon, décéda sans héritier. C’est alors à lui que revint le titre, que les comtes vascons avaient perdu 100 ans auparavant. À l’image de Garsia Sants, Guilhem Sants ne manqua pas d’imposer son pouvoir tant militaire qu’administratif : grande et définitive victoire contre les Normands à Taller en 98244, fondation de l’abbaye de Saint-Sever, du monastère de Saint-Vincent-de-Lucq, de l’église Sainte-Marie de Lescar, création d’un grand évêché de Vasconie qu’il plaça sous la direction de son frère Gombaud… Cette restructuration religieuse ne doit cependant pas cacher la mission politique de ces fondations : les monastères et leurs ramifications à l’intérieur du territoire permirent surtout d’asseoir solidement le pouvoir ducal. C’est également pour cette raison que Guilhem Sants créa de nombreuses vicomtés, délégations administratives à la tête desquelles il plaça sa famille et ses fidèles « barons » (Béarn, Oloron, Dax, Marsan…). Comme son grand père encore une fois, il ne manqua pas de nouer de solides alliances matrimoniales, notamment avec la famille du plus puissant des Francs : Hugues Capet.

À la mort de Guilhem Sants, vers 996, son premier fils, Bernat Guilhem, lui succéda. Sans grand fait notable, ce dernier semble avoir poursuivi la politique de son père jusqu’à sa mort survenue le 25 décembre 100945.

Le règne de son frère, Sants Guilhem, fut plus retentissant. Reconnu comme l’égal des rois en Navarre, le nouveau comte, marquis, duc, seigneur et prince de Vasconie se lança dans une politique de réunification – au moins morale – de l’ensemble du peuple vascon. La tâche s’avérait difficile, car le morcellement politico-administratif de la Vasconie s’était largement accentué avec l’émergence de nombreux autres comtés et vicomtés. Néanmoins, Sants Guilhem remplit en partie son objectif à travers la fondation de l’abbaye de Saint-Pé (en Bigorre). À cette occasion, il rassembla la majorité des comtes, vicomtes et chevaliers de Vasconie : tous promirent service et protection à cette nouvelle fondation. Cette réunion permit donc à la fois d’assurer la paix au sein de la Vasconie mais fut également l’occasion d’affirmer la supériorité du titre ducal sur les autres puissances. Sants Guilhem tint aussi à revendiquer sa filiation princière auprès du nouveau roi des Francs, Robert le Pieux. C’est la raison pour laquelle il ne lui rendit pas hommage en 1014 à Saint-Jean-d’Angély46 et qu’il fit frapper une monnaie ducale pour remplacer la monnaie royale. Une tradition tenace dit qu’il alla jusqu’à prêter serment à son oncle, Sants III le Grand, qui régnait alors sur le royaume de Pampelune (futur royaume de Navarre) et aurait ainsi réuni toutes les terres vasconnes de part et d’autre des Pyrénées. Mais cela reste à prouver.

Fig. n° 8 : carte simplifiée du duché de Gascogne vers l’an mil.

Malheureusement, au-dessus des efforts d’unification de la Vasconie menés par Sants Guilhem planait une épée de Damoclès : les années passaient et le prince vieillissant n’avait toujours pas d’héritier. C’est peut-être pour cela que, dans les années 1020, fleurit au sein des monastères la production d’Historiae. Mêlant Gesta, Mirabilia et Miracula – enquêtes historiques, faits merveilleux et miraculeux –, ces Historiae façonnèrent, célébrèrent et portèrent haut la gloire de la principauté et de son lignage, ainsi à jamais entrés dans la Légende. Et fatalement, en octobre 1032, la mort de Sants Guilhem annonça le déclin de son œuvre. Ainsi donc dépourvu d’héritier direct, le duché-comté de Vasconie revint aux enfants et petits-enfants de ses sœurs, ce qui eut pour conséquence, après la défaite du comte de Vasconie Bernat d’Armagnac dit Tumapaler à la bataille de la Castelle, vers 1063, le rattachement de la Vasconie à l’Aquitaine et la disparition progressive des titres ducal et comtal de Vasconie, noyés dans ceux d’Aquitaine.

À partir de cette date, le nom de « Vasconie », qui dans les sources commence à prendre des traits de « Gascogne », ne désigna plus qu’une aire culturelle et non politique. Mais une aire culturelle singulière et forte de caractère, dont l’indépendance vis-à-vis des royaumes voisins fut préservée par la puissance de son héritage historique et par le souvenir d’une légitimité souverainiste immémoriale. L’effectivité de cette allodialité (terre libre de droits seigneuriaux) de la Gascogne est toutefois contestée par certains historiens ; mais pour d’autres, elle est perceptible dès l’époque de Dagobert. Toujours est-il qu’à partir du IXe siècle, les ducs de Vasconie n’eurent plus aucune relation avec les pouvoirs francs ; et les ducs d’Aquitaine, qui prirent possession du titre ducal gascon à partir de 1063 avant de devenir rois d’Angleterre en 1154, ne prêtèrent jamais serment aux rois de France pour la Gascogne jusqu’au traité de Paris de 1259. C’est justement pour contrecarrer cette situation de vassalité vis-à-vis du roi de France que dans les années 1290, sous le règne d’Édouard Ier, fut rédigé le premier document revendiquant clairement l’allodialité de la Gascogne. Mise à l’écrit d’un long état de fait, consacrée par le pape et entrée dans la loi, la thèse de l’allodialité ne manqua pas de se diffuser parmi les auteurs et les poètes qui par leurs œuvres entretinrent l’image d’une immuable Gascogne royale, riche et indépendante, dotée de son propre rite d’investiture (à Saint-Seurin de Bordeaux ou à Saint-Paul de Dax), de ses puissantes cités et de ses imprenables forteresses, de ses redoutables guerriers (les dardiers) et de ses armes légendaires (l’épée Ploresanc), de ses chevaux hors pair et de son cri de guerre (« Biez ! »)47.

Fig. n° 9 : conflits politiques en Gascogne.

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Notes, sources, crédits

Auteur :
Benjamin Caule (OCG).

Notes :
1 Le royaume Wisigoth comptait d’abord les cités de l’Aquitaine seconde, de Bazas, Lectoure et Toulouse ; puis il s’étendit sur la Novempopulanie (440), l’Aquitaine première, la Narbonnaise première et l’Hispanie (dans les années 470). Abusivement appelé « royaume de Toulouse », le royaume n’avait pas une seule capitale mais plusieurs centres de pouvoir dont Toulouse, Bordeaux et, en Novempopulanie, Aire-sur-l’Adour (Mussot-Goulard 1998, p. 293 ; Rouche 1979, p. 25).
2 La Novempopulanie, ou Province des Neuf Peuples, fut créée au IIIe siècle au sein de l’empire romain à la demande des Aquitani (ensemble de peuples qui habitaient grosso modo entre Garonne et Pyrénées) afin de faire reconnaître leur particularisme culturel.
3 Nous reviendrons plus loin sur la question de la relation entre identité ethnique et identité politique. Il convient toutefois de préciser qu’il ne s’agit pas ici de traiter ni de soutenir une quelconque revendication communautariste ou indépendantiste, ni d’entretenir ou d’exalter un « narcissisme des petites différences » – ce qui aboutirait à flirter avec d’absurdes idéologies ségrégationnistes et puristes, dont l’essentialisme est contraire à la définition dynamique, changeante et situationnelle de l’ethnicité.
4 L’allodialité de la Gascogne reste un sujet débattu, nous y reviendrons plus loin.
5 Les historiens ont longtemps débattu sur la traduction des termes Wasconia et Wascones. Nous suivrons l’avis de ceux qui comme G. Pépin proposent de lire « Vasconie » et « Vascons », plutôt que Gasconia et Gascones ou Basconia et Bascones, car la différenciation entre Gascons (Gascones) et Basques (Bascones) n’est faite dans les textes qu’à partir du XIe siècle. En effet, bien que la langue gasconne soit identifiable dès le VIe siècle (Chambon et Greub 2002), les termes Gascones et Bascones n’apparaissent que tardivement dans le but de différencier les locuteurs gascons et basques à l’intérieur et exclusivement à l’intérieur du territoire de la Wasconia. Ailleurs, même en territoire bascophone (Navarre), le terme de Bascones est rejeté : car avant d’être un terme linguistico-culturel, il est un terme politique (Pépin 2012, p. 52 ; Larrea 1998, p. 131).
6 Grégoire de Tour, historien des Francs du VIe siècle, mentionne une intervention militaire menée par le duc Bladaste en 581 en Wasconia (dans les cités béarno-commingeoises) ; puis une action des Wascones en 587, contre qui le duc Austrovald combattit souvent sans succès. La grande majorité des sources disponibles sur l’histoire de la Vasconie sont franques et donc tributaires de leurs points de vue.
7 Au sud des Pyrénées, les Wisigoths attaquaient alors régulièrement les Wascones (581, 590, 610, 613, 621…) (Rouche 1979, p. 89).
8 Comme l’illustre l’exemple des co-évêques d’Éauze, Palladius et Sidoc, exilés par les Francs pour leur alliance avec les Wascones. Cette situation ne manque pas de faire écho à l’entente reconnue du temps de César qui existait entre les tribus de Novempopulanie – alors appelées Aquitani – et celles du nord de l’Espagne : le fait qu’Aquitani et Vascones antiques étaient culturellement liés a peut-être favorisé l’existence de liens privilégiés entre Novempopuli et Wascones. La question reste ouverte. Du reste, il est à noter que les glissements ethnonymiques ne sont pas des phénomènes isolés dans l’Histoire.
9 Pelat 2019. D’autant plus que les dits Vascones sont un peuple géographiquement voisin, ce qui aurait pu faciliter voire induire cette fourberie littéraire.
10 Larrea 1998, p. 133. Si le terme « Wascones » ne concerna dans un premier temps que les rebelles novempoulaniens, il servit finalement à désigner tous les membres de ce peuple.
11 Mussot-Goulard 2002, p. 9. Par ailleurs, l’historienne se contredit en affirmant que les Wisigoths appelaient leurs terres non-hispaniques la Province d’Aquitanique, et leurs habitants les Provinciaux.
12 Son argumentation se base sur la lecture qu’elle propose de la Cosmographie de l’Anonyme de Ravenne, œuvre du début du VIIIe siècle compilant et arrangeant de nombreux documents plus anciens, elle-même connue par des copies postérieures difficiles à interpréter et pleine d’erreurs de transcription (Kowalski 2017, p. 9). Pour décrire l’espace situé entre la Loire et la Garonne, qu’il appelle Guasconia, et celui situé au sud de la Garonne, qu’il appelle Spanoguasconia, l’Anonyme dit s’inspirer de deux géographes goths du VIe siècle : Renée Mussot-Goulard en conclut alors que ces deux appellations sont également imputables aux géographes goths(Mussot-Goulard 2002, p. 9). Mais rien ne l’assure, elles peuvent très bien provenir d’une source postérieure, voire, plus simplement, du contexte contemporain de l’Anonyme lui-même : en effet, ces deux appellations témoignent d’un ensemble bipartite qui concorderait bien avec la géopolitique du VIIIe siècle. De plus, les noms des « philosophes » dont l’Anonyme dit s’inspirer pour réaliser sa cosmographie seraient des hapax et pour certains tout à fait imaginaires (Lebel 1939, p. 135). De même, la présence du G dans Guasconia (à la place du W de Wasconia) ne se rencontre pas dans les autres sources avant le XIe siècle (Pépin 2012, p. 51).
13 Rouche 1979, p.157. Cependant, une étude plus fine de ces toponymes, notamment sur la date de leur apparition, serait souhaitable.
14 La cavalerie vasconne formait l’élite et le gros des troupes de la principauté (Rouche 1979, p. 358).
15 Les noms nous étant parvenus sous le prisme de rédacteurs interprétant et s’efforçant de rendre intelligible des noms qui leurs étaient peu communs voire étrangers (Settipani 2004, p. 96).
16 Les Francs désignaient depuis le début du VIIe siècle des ducs chargés de la lutte contre les Vascons (Galactoire, Genialis, Aighyna…). Ils étaient basés à Toulouse ou à Bordeaux et dirigeaient une marche s’étendant entre ces deux villes. Les comtes de Bordeaux portèrent régulièrement le titre de duc de Vasconie, faisant d’eux les garants de la surveillance de ce pays qui élisait alors souvent des princes pour faire face à leur autorité (Mussot-Goulard 1982a, p. 62).
17 Toutefois, la nature du pouvoir de Félix (peut-être en fait un ecclésiastique) voire sa propre existence (mentionnée dans une seule source) sont remises en causes en par certains (Bellarbre 2018, p. 196).
18 M. Rouche les voit rois, P. Depreux trouve l’hypothèse très contestable (Depreux 2012, p. 77). Mais tous les historiens s’accordent à ne voir aucune motivation identitaire dans l’existence de cette principauté ; elle n’est que le fait de l’ambition d’une aristocratie assez puissante pour contester l’hégémonie des Pippinides, voire assez puissante pour entrer en concurrence avec elle pour le contrôle d’au moins une partie des royaumes francs, même au-delà de l’Aquitaine (Pépin 2018).
19 Settipani 2004, p.78. Les noms germaniques de ces hommes ne constituent pas un indice fiable quand on sait qu’à la même époque des évêques d’origine gallo-romaine en portaient également (Rouche 1979, p. 101.). Le processus de germanisation de l’onomastique méridionale est en effet déjà en cours au VIIIe siècle (Cursente 1996, p. 43). Une hypothèse intéressante les feraient descendants de Raymond, comte de Limoges – de plus, cette ville est la candidate la plus sérieuse au titre de « capitale » de la principauté (Boyer 2014). Mais comment cette famille aurait-elle récupéré l’héritage de Loup ? Nous pouvons imaginer une alliance (un mariage entre Eudes et une fille de Loup ?), car sinon comment expliquer le maintien des forces vasconnes au Nord de la Garonne dans les troupes d’Eudes ? Un indice possible de cette alliance pourrait se retrouver dans la tradition onomastique. En effet, la famille des vicomtes de Lomagne (aussi vicomte de Gascogne), issue des princes de Gascogne (et donc de Loup, nous le verrons plus bas), est l’une des rares familles à posséder un stock onomastique lié aux Eudoniens (Odon, Hunald…) (Pépin 2018).
20 Certains ne trouvent l’origine du peuple Wascon que dans la conséquence d’une « ethnicisation d’un refus d’obéissance de nature politique » ; autrement dit, le sentiment « national » des Wascones, qui serait imperceptible avant Guilhem Sants, ne découlerait que de la création politique de la Wasconia (voir les travaux de M. Pelat). C’est toutefois vite oublier la question linguistique de ces habitants ainsi que celle de leur passé commun, et considérer alors comme un hasard la parfaite corrélation existant entre les territoires appelés Wasconia et Novempopulania. Si la formation politique de la Wasconia a aussi facilement posé les bases d’un ethnonyme nouveau, c’est qu’elle devait correspondre dans les grandes lignes à un fonds culturel préexistant marqué par une forte conscience régionale (Miro 2014, p. 406), peu importe son nom, peu importe celui que les Francs lui donnèrent et l’usage qu’ils en firent dans leurs chroniques qui ne s’adressaient qu’à eux. De plus, d’autres chercheurs avancent des arguments contraires qui démontrent au VIIe siècle l’existence d’une Wasconiae patria constituée autour de la Novempopulanie et de ceux qui la peuplaient alors (descendants de Novempopulaniens, de Romains, de Goths et sûrement de bien d’autres – et même de quelques Francs ! – mais le tout constituant un « mélange solide, conscience soudée. […] [D’]une telle personnalité qu’ils sont susceptibles de prêter un serment collectif après la campagne de 635. » Mussot-Goulard 1997, p. 272). D’autres indices attestent de ce « sentiment d’appartenance » vascon (prisonniers épargnés car étant de « même sang », etc.), qui s’est transmis dans celui dit gascon (voir les travaux de G. Pépin).
21 Cette position de défenseur de la romanisation face aux Francs, développée par M. Rouche et reprise par ses successeurs, serait quelque peu exagérée (Pépin 2018).
22 Ces trois personnages seraient respectivement inspirés d’Eudes, Hunald et Gaïfar (Rouche 1979, p. 128).
23 C’est à Éauze que le siège archiépiscopal de la Novempopulanie se fixa, avant d’être transféré en 879 à Auch qui devint alors la capitale religieuse de la Gascogne pour le rester jusqu’en 1802. En ce même IXe siècle, la capitale politique semble être Dax, où monnaie fut frappée sous Louis le Pieux et où plus tard certains fils de ducs gascons furent nommés comtes. À la fin du Xe siècle, l’importance de Dax fut dépassée par celle de Saint-Sever, qui garde encore aujourd’hui le titre de « cap de Gascogne » (« tête de la Gascogne » en gascon). C’est également à cette époque que les comtes de Gascogne, ayant récupéré le comté de Bordeaux qui leur avait échappé depuis quelques décennies, firent de cette ville un important lieu du pouvoir ducal gascon. Dax, Saint-Sever, Bordeaux mais aussi Bazas recevaient ainsi encore au XIIIe siècle la Cour de Gascogne, signe de leur importance politique ; sans oublier Morlaàs pour la monnaie (le denier morlan était la monnaie courante en Gascogne du XIe au XVe siècle). Nous remercions G. Pépin pour tous ces renseignements.
24 Comté qui avait été renforcé des terres du Médoc et du Buch (Mussot-Goulard 1997, p. 263). D’après R. Mussot-Goulard, les Goths n’auraient non pas créé un comté mais un duché de Bordeaux, dont le commandement aurait été la cité de Bordeaux agrandie jusqu’à Lapurdum (Bayonne) dans le but de continuer le tractus armoricus. Un « duc de Bordeaux », Suatri, fut en effet capturé par Clovis ; et en 579, Venance Fotunat souhaitait que son ami Galactorius soit nommé « duc de Bordeaux », titre qui avait pour rôle de surveiller les « Vascons et les Cantabres ».
25 Les terres méridionales du comté, entre Bordeaux et le Bazadais, étaient déjà appelées « terra gasca », soit « terres gasconnes » (G. Pépin, renseignement oral).
26 Herbin 2011, p. 241. Dans Garin le Loehrain, la possession du comté de Bordeaux est l’origine de nombreux conflits. Il appartient à la lignée de Fromont, qui jouissait aussi du pouvoir sur le reste de la Gascogne jusqu’à ce que le roi Pépin le lui retire pour en faire un duché offert à Begon. Étrangement, le roi Yon de Gascogne, à qui Fromont jure régulièrement fidélité, n’apparaît qu’en filigrane et n’agit jamais : il règne pourtant à Dax, et le mariage de sa fille avec Gerbert permet à ce dernier de justicier à Bordeaux (… !).
27 Qui aurait été poignardé par Waratton, un de ses proches ; l’assassinat aurait été commandité par Pépin (Rouche 1979, p. 126).
28 Ou son père de retour d’exil.
29 Peut-être fils de Hatton frère de Hunald I, et donc petit-fils d’Eudes. En tout cas vraisemblablement lié au premier Loup.
30 L’Astronome nous apprend, dans son Vita Hludowici imperatoris (texte du IXe siècle), que Sants (ou Sanche) est fils d’un Loup.
31 « Roi, dit [Sants], de ta bouche découle l’inspiration de tout sage conseil ; c’est à toi de commander, à nous d’obéir. Si cependant cette affaire est livrée à notre discussion, mon avis est, je le jure, qu’on conserve une tranquille paix » (Ermold le Noir 1824, p. 9). Dans cette source, par rapport aux autres protagonistes osant prendre la parole à ce conseil, Sants ne manque clairement pas d’à-propos.
32 Nom à l’origine controversée. Soit issu du franc Sigwin, soit du vascon Simin/Semen. Toutefois, l’Astronome nous le dit de la « race des Francs ». Un autre Seguin avait été nommé par Charlemagne en 778 au comté de Bordeaux, auquel Sants Loup aurait donc succédé ; peut-être s’agit-il de son fils, dont la famille était donc déjà bien implantée en Vasconie où elle aurait fait souche.
33 Ou Garcia Jimenez (« Garsimire » dans les sources), fils d’un chef vascon nommé Semen (ou Jimeno). Ce dernier était peut-être l’époux d’Oneka (ou Iniga), fille de Loup, et eut pour autre fils Eneko (ou Inigo) dit Arista, premier roi de Pampelune.
34 Peut-être les fils de Centulh Loup, lui-même fils de Loup.
35 R. Mussot-Goulard 1982a, p. 89, reprise par C. Settipani 2004, p. 79, voit dans ce comté de « Vasconia citerior » le comté de Fézensac ; mais cela pourrait aussi correspondre à un territoire différencié de celui d’une éventuelle “Vasconia ulterior” qu’il resterait de toutefois à définir, peut-être au sud des Pyrénées.
36Quittant Pampelune pour rentrer au nord des Pyrénées, Aznar et le comte Aeblus subirent ce qui est communément appelé le deuxième Roncevaux. Si Aeblus fut fait prisonnier et déporté à Cordoue, Aznar lui fut libéré car était du « même sang » que ses ennemis. Cet épisode eut pour conséquence la création du royaume de Pampelune, appelé plus tard royaume de Navarre.
37 Les raisons de ce retournement de situation ne sont pas connues. Certains y voient plus un rejet du roi Pépin que de l’autorité franque – Pépin s’étant soulevé contre son propre père Louis (Lerat 1983, p. 123).
38 Higounet 1948, p. 8. Settipani 2004, p. 79. Nous ne savons pas précisément quel genre de « mort horrible » il a subi.
39 Nommé à la tête de la ville et donc du duché de Vasconie en 840.
40 Mussot-Goulard 1996, p. 51. En 852, il parvint même à capturer Pépin II et le livra à Charles ; il devait à ce dernier sa libération alors qu’il avait été fait prisonnier par les musulmans en 850.
41 Son nom viendrait d’Arnaut grand-père de Loup, et donc lierait la famille Mitarra à celle de Loup (Settipani 2004, p. 80).
42 Dont le père fut assurément un Sants, qui selon le cartulaire de Berdoues fut roi ; ce qui par recoupement attribuerait donc le titre de rex au fils de Mitarra, Sants (Settipani 2004, p. 82).
43 Plus précisément, Sants Garsia reçu le comté de Grande Vasconie (composé des cités d’Agen, Aire, Bayonne, Bazas, Béarn, Dax, Lectoure et Oloron) mais garda autorité sur ceux qui étaient restés fidèles à son père ainsi que sur ses frères Guilhem Garsia (qui reçut le Fezensac) et Arnaut Garsia (qui reçut l’Astarac) (Lerat 1983, p. 150. Mussot-Goulard 1996, p. 59).
44 Ou 988. Le lieu de la bataille n’est pas localisé avec certitude ; mais la bataille elle-même n’a peut-être jamais eu lieu et serait légendaire (Lewis 2021, p. 336).
45 Peut-être assassiné par une femme (Mussot-Goulard 1996, p. 66).
46 La légende dit que Robert, ayant demandé à Sants « Qui t’as fait prince ? », eut pour réponse « Qui t’as fait roi ? » (Mussot-Goulard 1996, p. 76).
47 Pépin 2012, p. 55. Brunel 1953, p. 37. Que ce soit par nécessité de rime ou pas, quand ils ne sont pas d’origine étrangère les chevaux des chansons de geste sont presque toujours gascons et réputés pour leurs valeurs.

Sources principales :
– J. Bellarbre : « Aquitania, Wasconia, Hispania. Perception des territoires et des peuples frontaliers dans l’historiographie monastique aquitaine (VIIIe-XIIe siècles) », in : Las fronteras pirenaicas en la Edad Media (siglos VI-XV), 2018, p. 189-224.
– F. Boutoulle : « La “Gascogne allodiale” : reconsidérations sur un thème historiographique », in : Provinciales : hommages à Anne-Marie Cocula, 2009, p.553-562.
– J.-P. Brèthes : « Et l’Aquitaine devint romaine », Modèles linguistiques, n° 66, 2012, p. 29-45.
– J.-P. Chambon et Y. Greub : « Note sur l’âge du (proto)gascon », Revue de linguistique romane, n° 66, 2002, p. 473-495.
– B. Cursente : « Aspects de la « révolution anthroponymique » dans le Midi de la France (début XIe– début XIIIe siècle) », in : L’anthroponymie document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens médiévaux, actes du colloque international organisé par l’École française de Rome (Rome, 6-8 octobre 1994), 1996, p. 41-62. 
– P. Depreux : « Le princeps pippinide et l’Occident chrétien », in : De Mahoma a Carlomagno. Los primeros tiempos (siglos VII-IX), Actas de la XXXIX Semana de Estudios Medievales de Estella (17 al 20 de julio de 2012), 2012, p. 61-97.
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– J. J. Larrea : La Navarre du IVe au XIIe siècle : peuplement et société, 1998.
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– S. Lewis : Vikings in Αquitaine and their cοnnectiοns, ninth tο early eleventh centuries, Thèse, Université de Normandie, 10 juin 2021.
– R. Mussot-Goulard : Les Princes de Gascogne : 768-1070, 1982 (a).
– R. Mussot-Goulard : « Mémoire, tradition, histoire, en Gascogne au début du XIe siècle », in : Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public. 13e congrès, 1982 (b), p. 141-156.
– R. Mussot-Goulard : « Les goths parmi les neuf peuples au Ve siècle », Lapurdum, n° 1, 1996 (a), p. 157-169.
– R. Mussot-Goulard : Histoire de la Gascogne, 1996 (b).
– R. Mussot-Goulard : « Wascones in plana descendunt… Civitas Lapurdum… », Lapurdum, n° 2, 1997, p. 257-281.
– R. Mussot-Goulard : « La bataille du Palestrion octobre-novembre 445 », Lapurdum, n° 3, 1998, p. 293-297.
– R. Mussot-Goulard : Les Gascons, une aristocratie régionale aux temps mérovingiens, 2002.
– M. Narbona Carceles : « L’origine de l’office d’armes en Navarre ( fin XIVe – début XVe siècle) : étude prosopographique », Revue du Nord, 2006/3, n° 366 – 367, 2006, p. 631-649.
– M. Pelat : « Les identifications ethniques en Novempopulanie, Wasconie et Aquitaine dans l’Antiquité tardive et au haut Moyen-Âge (IIIe – IXe siècle) », Travaux et documents, Revue de la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de la Réunion, n° 51, 2017, p.191-212.
– M. Pelat : « Wasconie et Wascons dans les Dix livres d’histoire de Grégoire de Tours », Travaux et documents, Revue de la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de la Réunion, n° 54, 2019, p.43-65.
– G. Pépin : « Les Aquitains et les Gascons au Haut Moyen Âge : genèse de deux peuples », Bulletin de la Société de Borda, n° 477, 2005 (a), p. 3-22.
– G. Pépin : « Les Aquitains et les Gascons au Haut Moyen Âge : l’affirmation de deux peuples », Bulletin de la Société de Borda, n° 479, 2005 (b), p. 321-340.
– G. Pépin : « La collégiale Saint-Seurin de Bordeaux aux XIIIe–XIVe siècles et son élaboration d’une historiographie et d’une idéologie du duché d’Aquitaine anglo-gascon », Le Moyen Âge, revue d’histoire et de philologie, tome CXVII, 2011, p. 43-66.
– G. Pépin : Genèse et évolution du peuple gascon du haut Moyen âge au XVIIe siècle, Modèles linguistiques, n° 66, 2012, p. 47-79.
– G. Pépin : « Jean-François Boyer, Pouvoirs et territoires en Aquitaine du VIIe au Xe siècle. Enquête sur l’administration locale », Médiévales, n° 78, 2018, p. 213-218.
– G. Pradalié : Les comtes de Toulouse et l’Aquitaine (IXe-XIIe siècles), Annales du Midi, tome 117,n° 249, 2005, p. 5-23.
– M. Rouche : L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes, 418-781 : naissance d’une région, 1979.
– C. Settipani : La noblesse du Midi carolingien : études sur quelques grandes familles d’Aquitaine et du Languedoc du IXe au XIe siècle : Toulousain, Périgord, Limousin, Poitou, Auvergne, 2004.
> Et de nombreux travaux scientifiques disponibles ici.

Crédits :
– Figure 1 : A. Longnon, P. Lartigue et B. Caule.
– Figure 2 : B. Caule.
– Figure 3 : Bibliothèque nationale de France, Beatus de Saint-Sever, Latin 8878.
– Figure 4 : B. Caule.
– Figure 5 : Gustave Doré.
– Figure 6 : Bibliothèque nationale de France, Beatus de Saint-Sever, Latin 8878.
– Figure 7 : Ville de Saint-Sever.
– Figure 8 : A. Longnon, P. Lartigue et B. Caule.
– Figure 9 : B. Caule.

Dernières modifications : avril 2022