HISTOIRE &
ARCHÉOLOGIE

Officiers du Second
Moyen Âge


Fig. n° 1 : délibération des consuls d’Agen.

L’étendue du duché d’Aquitaine au Xe siècle, des Pyrénées à la Loire, a rapidement rendu nécessaire l’existence d’agents ducaux. De fait, les institutions administratives y sont anciennes, bien que leur processus de développement soit encore mal connu pour ces hautes époques. Les prérogatives des officiers du roi-duc ont été progressivement définies à la faveur des absences ponctuelles puis permanentes de ce dernier. Entre 1250 et 1450, sept fonctions principales peuvent être identifiées et définies : la sénéchaussée de Gascogne, la lieutenance du roi, les sénéchaussées de Guyenne, la connétablie de Bordeaux, les connétablies de Guyenne, les baylies ou prévôtés et les mairies. À ces différents représentants du duc doit être ajoutée la foule habituelle des personnels administratifs comme les juges, les procureurs, les conseillers, les greffiers, les clercs ou encore les sergents d’armes. Alors que les grands officiers sont régulièrement révoqués, les charges plus modestes sont, dans les années 1430-1450, de plus en plus souvent concédées à vie. C’est par exemple le cas de Peter Bowman qui, le 11 octobre 1438 et après une carrière en Angleterre et en Aquitaine, est nommé à vie clerc du connétable de Bordeaux (C61/129, 17-18, membrane 22, 1).

Les sénéchaussées

La charge de sénéchal est un office ancien dont la première mention en Aquitaine date de la seconde moitié du XIe siècle ne concernant alors que l’administration du Poitou. À l’origine, le rôle du sénéchal est d’assister le duc dans la gestion de ses domaines et d’exercer ses prérogatives en son absence. Sous le règne d’Édouard Ier (1272-1307) il existe quatre sénéchaussées, toutes placées sous l’autorité du sénéchal de Gascogne : la sénéchaussée de Saintonge, celle de Périgord (s’étendant aussi aux Limousin, Rouergue et Quercy), celle de l’Agenais et enfin celle de Bigorre. Ces sénéchaussées sont instables, disparaissant ou réapparaissant à la faveur des pertes et conquêtes territoriales (une sénéchaussée des Landes apparaît ainsi régulièrement). Les sénéchaux de Guyenne sont les représentants du duc dans ses domaines, charge comparable à celle des baillis du roi de France.

Principal officier du duché, le sénéchal de Gascogne (d’Aquitaine après 1360) est quant à lui chargé de faire appliquer les ordres du roi-duc mais exerce aussi des fonctions judiciaires en première instance ou en appel. Sa cour de justice se réunit dans quatre agglomérations : Bordeaux, Bazas, Dax et Saint-Sever. Lors de son entrée en fonction, il doit jurer de respecter les coutumes et libertés locales ou particulières, obligation que le sénéchal John de Havering s’abstient de faire lors de sa nomination en juin 1289. Son oubli – volontaire ou non – est à l’origine d’un long conflit qui oppose les bourgeois de Bordeaux à Édouard Ier entre janvier 1290 et juillet 1291. Portée en appel au Parlement de Paris puis réglée à la cour d’Angleterre, cette affaire est évoquée dans les Rôles gascons par un acte d’Édouard Ier ordonnant que soient remboursés à John de Havering les frais extraordinaires que ses déplacements lui ont coûtés.

Dans un premier temps et afin de permettre au sénéchal d’entretenir à son service dix chevaliers et sergents, le prince Édouard (Ier) fixe sa rémunération en 1259 à un versement annuel de 4000 livres bordelaises.
Avant les années 1370, le sénéchal de Gascogne peut aussi lever les milices féodales et disposer des finances du duché. À ce sujet, il convient de préciser qu’il n’est qu’ordonnateur et non percepteur. Itinérant, il réside le plus souvent à La Réole car, à Bordeaux, le vétuste palais de l’Ombrière est entièrement occupé par l’administration ducale depuis le milieu du XIIIe siècle.

Fig. n° 2 : château des Quat’Sos à La Réole, XIIIe siècle.

Après la disparition de la principauté d’Aquitaine en 1372, les pouvoirs du sénéchal de Gascogne sont élargis et s’apparentent davantage à ceux d’un   » gouverneur militaire « . Il obtient ainsi le privilège de nommer une partie des officiers du duché, d’accorder des lettres de protection, de sauf-conduit ou de rémission, ou encore de conclure des trêves. Il peut aussi disposer des biens confisqués aux traîtres et recevoir les hommages féodaux au nom du roi-duc. Désormais commandant de l’armée, il est contraint de résider à Bordeaux à cause des conquêtes territoriales françaises.

Directement nommés par le roi-duc, les sénéchaux sont révocables à n’importe quel moment. Entre 1248 et 1453, soixante-et-un sénéchaux de Gascogne se succèdent, certains occupant la charge à plusieurs reprises comme John de Havering (1289-1294 et 1305-1308), William Le Scrope (1383-1385 et 1390-1393) ou encore Robert de Vere (1441-1442 et 1445-1450). Quasiment tous sont Anglais, les nominations de Gascons (sept) ou Français (deux) répondant seulement à une stratégie diplomatique comme ce fut le cas pour le sénéchal Henri de Sully. Selon les conditions de paix mettant fin à la guerre de Saint-Sardos et conclues le 31 mai 1325 entre Édouard II (1307-1327) et Charles IV (1322-1328), le roi de France impose à la tête de la sénéchaussée de Gascogne Henri de Sully, administrateur et diplomate reconnu. Ce dernier est donc officiellement nommé par Édouard II le 13 juillet de la même année (C61/38, 19-20, membrane 7, 14).

Issus de l’entourage royal, les sénéchaux sont à la fois hommes de guerre et administrateurs expérimentés au temps d’Édouard Ier. À partir des années 1330-1390, l’aspect guerrier supplante les compétences administratives mais le roi-duc prend tout de même le soin de choisir des hommes rompus à l’exercice politique.

La lieutenance du roi

En cas d’urgence ou de nécessité, le roi-duc peut nommer un ou deux lieutenants auxquels tous les autres officiers du duché, y compris le sénéchal de Gascogne, doivent obéissance. Ces hommes, issus de la très haute noblesse d’Angleterre ou de la famille royale, sont envoyés sur le continent pour mener à bien des missions spécifiques d’ordre diplomatique ou militaire. Ainsi, lorsqu’éclate la guerre de Saint-Sardos en juillet 1324, Édouard II (1307-1327) nomme son frère Edmond de Woodstock, comte de Kent, lieutenant et capitaine de Guyenne chargé de défendre le duché contre l’invasion française (C61/36, 18, membrane 30, 15). Le 10 mai 1345, en pleine guerre de Cent Ans, Édouard III (1327-1377) nomme le comte de Derby, Henri de Lancastre, à la lieutenance de la Guyenne avec pour mission de récupérer les territoires perdus (C61/51, 19, membrane 6, 31). Sa vaste offensive s’avère être un véritable succès.

Enfin, la chute de l’Aquitaine anglo-gasconne est marquée par la lieutenance de John Talbot, comte de Shrewsbury, chargé en septembre 1452 par Henri VI (1422-1461) de tenter une ultime reconquête du duché (C61/139, 31, membrane 6, 27). C’est en effectuant cette mission que John Talbot périt à la bataille de Castillon le 17 juillet 1453.

Fig. n° 3 : mort de John Talbot, lieutenant du roi en Aquitaine, lors de la bataille de Castillon en 1453.

Les connétablies

Il s’agit d’un titre militaire. Les connétables d’Aquitaine sont les commandants des places-fortes du duché recrutés parmi les vassaux du roi-duc. Le connétable de Bordeaux occupe quant à lui une charge bien différente. S’il doit son titre à son statut de gardien du palais de l’Ombrière à Bordeaux (lieu de stockage de l’arsenal ducal), sa fonction principale est d’administrer les finances du duché d’Aquitaine et de diriger la frappe des monnaies. Il peut être nommé par le roi-duc ou par le sénéchal de Gascogne.
Le connétable de Bordeaux est à la fois un receveur, un percepteur et un trésorier. Il encaisse les revenus des domaines du roi-duc ainsi que les produits des coutumes (comme les taxes de douane), paie les gages et les dons, rembourse les dettes du roi-duc, et enfin finance les travaux publics et les dépenses militaires. Son activité est contrôlée par l’Échiquier de Londres auquel il doit remettre ses comptes en fin de charge, comme le fit Richard de Elsfield le 26 juillet 1320. Clerc du roi et connétable de Bordeaux, ce dernier est convoqué à la cour de l’Échiquier le 29 septembre suivant afin de remettre les  « rôles » de ses comptes (rouleaux de parchemins). Ordre lui est aussi donné de vérifier les comptes des agents placés sous son autorité (bayles et prévôts) et de les contraindre à payer leurs arriérés (C61/33, 13-14, membrane 7d, 133).

Enfin, contrairement au sénéchal de Gascogne, le connétable de Bordeaux est la plupart du temps recruté parmi les clercs (anglais ou gascons) porteurs du titre de docteur ou de maître. L’un des plus brillants de ces connétables est sans conteste le maître John Streatley. Nommé pour la première fois à cette fonction le 28 avril 1348 (C61/60, 22, membrane 30), John Streatley est docteur en droit canon et doyen du chapitre de Lincoln. Après sa seconde nomination qui s’achève le 20 septembre 1361, il demeure en Aquitaine en tant que conseiller royal puis chancelier d’Édouard de Woodstock, le Prince Noir, pour lequel il joue à plusieurs reprises le rôle de négociateur avec les Français.  

Fig. n° 4 : Jean III de Grailly, captal de Buch, connétable d’Aquitaine en 1371.

Les baylies et prévôtés

Bayles – ou baillis – et prévôts sont des agents de même nature, des percepteurs d’impôts, recrutés parmi la petite noblesse ou la bourgeoisie et dépendants du connétable de Bordeaux. Ils représentent l’échelon local de l’administration ducale. Les premiers sont plus nombreux dans l’Agenais, les seconds dans les régions bordelaise et landaise. Dans certaines villes, il arrive que se côtoient deux bayles ou deux prévôts. Cette situation est la conséquence d’un partage des pouvoirs publics, appelé « pariage » ou « paréage », entre le roi-duc et un seigneur laïc ou ecclésiastique (évêque, abbé, chapitre). Il en est ainsi dans plusieurs villes comme Agen, Aire-sur-l’Adour, Bazas, Condom, Vianne ou encore Castelnau où un projet de construction de bastide est conclu le 6 août 1320 entre le seigneur du lieu, Pierre, et le roi-duc Édouard II (1307-1327) alors représenté par le sénéchal de Gascogne Antonio de Pessagno. Rapporté par les Rôles gascons, l’acte détaille les droits de chaque parti, détermine le partage des revenus et précise que deux bayles (« baiuli ») seront nommés, l’un pour le domaine du roi-duc et l’autre pour celui de Pierre de Castelnau (C61/33, 13-14, membrane 4, 277).

La fonction de bayle ou prévôt est soumise à un contrat de fermage, ce qui signifie qu’elle est concédée pour une durée limitée en échange du versement d’une somme par le bénéficiaire, qui se dédommage ensuite de son investissement par le prélèvement des revenus publics jusqu’à un seuil déterminé à l’avance. Ainsi, le 15 juillet 1383, le plafond des revenus de la prévôté de Dax est fixé à 100 marcs par an, l’excédent éventuel des perceptions devant être reversé au connétable de Bordeaux (C61/97, 7, membrane 12, 14). Le choix de l’officier est effectué par le roi-duc après la mise aux enchères publiques de la baylie ou de la prévôté. Cependant, ces dernières sont aussi régulièrement cédées sous forme de don en récompense de loyaux services. Au XVe siècle même, la charge est de plus en plus souvent concédée à vie, devenant parfois héréditaire. Ce processus de patrimonialisation est bien illustré par le cas de la famille Lahitte dans les années 1440. En 1439, Pierre de Lahitte, seigneur d’Haitxe, parvient à obtenir les baylies de Capbreton et Labenne dont son père Auger avait eu la charge à vie (C61/129, 17-18, membrane 18, 46). Le 18 septembre 1445, Pierre fait confirmer sa nomination à vie ainsi que celle de son fils aîné Jean (C61/134, 24, membrane 7, 11). La patrimonialisation n’est pourtant pas complète puisque le 20 juillet 1445, à la suite d’actes de brigandages commis à Bayonne par Pierre Lahitte, le Parlement de Londres lui retire la charge de bayle pour la confier à Jean de Brutails (C61/135, 25-26, membrane 5, 39).

Tous les prévôts ne relèvent pas du roi-duc car beaucoup de seigneurs ont les leurs. Ainsi à Bordeaux, le prévôt du roi réside au palais de l’Ombrière et détient une double responsabilité : celle de juger les étrangers, les non bourgeois et les non citoyens de Bordeaux, et celle d’entretenir l’arsenal ducal conservé dans la forteresse. Le prévôt de la ville ne dépend quant à lui que de la municipalité pour laquelle il exerce la justice sur les habitants ayant le statut de bourgeois ou de citoyens de Bordeaux.

Les mairies

Depuis le XIIIe siècle le duc d’Aquitaine reconnaît l’existence de libertés municipales dans les principales villes du duché (comme Bordeaux, Bayonne, Bourg, Blaye, Saint-Émilion, La Réole etc.).

Des institutions comme le conseil des pairs, la jurade (ou les consuls), et la mairie apparaissent donc régulièrement dans les textes. Issus de l’oligarchie urbaine, les jurats et les pairs ont le droit de choisir en leur sein (élire) un maire en accord avec le roi-duc : celui-ci doit désigner le maire parmi les trois (parfois deux) candidats « élus » par la ville. C’est de cette façon qu’est nommé à la mairie de Bayonne Pey Duputs le 23 avril 1345. Le roi Édouard III (1327-1377) désigne ce dernier parmi les trois candidats « élus » par la jurade et la pairie (les deux autres étant Perramon Dardy et Arnaud de Bordeaux). Les raisons motivant ce choix sont exposées dans l’acte de nomination : le roi-duc s’est avant tout assuré de la réputation de Pey Duputs ainsi que de celle de son industrie (C61/57, 19, membrane 5, 48). Durant cette période de relative autonomie des institutions municipales le maire a une influence considérable sur les affaires de la cité dont il est l’émanation – ou tout au moins celle de la classe dominante. Il ne peut donc en aucun cas être qualifié d’officier du duché.

Fig. n° 5 : délibération des consuls d’Agen.

La situation évolue rapidement lorsque le 22 octobre 1261 le futur Édouard Ier – alors en charge du gouvernement de l’Aquitaine – profite d’un long conflit opposant les différentes factions bourgeoises de Bordeaux pour s’approprier le droit de nommer le maire de la ville. Le pouvoir du maire était auparavant si considérable qu’il avait provoqué des luttes d’ambition acharnées entre les familles les plus influentes de la capitale gasconne, notamment les Colomb et les Soler. Ces oppositions ont été si virulentes qu’elles ont abouti à des épisodes sanglants dont le plus fameux est celui de l’émeute du 28 juin 1249.
La remise en question des statuts de la commune de Bordeaux a des répercussions considérables dans le duché puisqu’elle rend vulnérables les institutions urbaines de toutes les villes de d’Aquitaine. À partir de 1261, les rois-ducs successifs usent ainsi régulièrement de la confiscation de la mairie à la fois comme sanction et comme moyen d’affirmation de leur autorité – c’est par exemple le cas à Bayonne, Dax, Saint-Émilion ou Libourne. Dès lors, le maire ne représente plus la population de la ville, ni même la classe bourgeoise, mais bien le pouvoir ducal. Cette évolution est particulièrement prononcée à Bordeaux où, après 1375, les maires sont exclusivement recrutés parmi les Anglais. 

Jadis élus pour une année, ils sont à présent nommés par le roi-duc ou le sénéchal de Gascogne pour une durée indéterminée, comme le chevalier Thomas de Swinburne qui occupe la charge de 1405 à 1412. Nommé le 13 mars 1405 (C61/110, 6, membrane 5, 13), ordre est donné aux jurats, aux prudhommes et à la communauté de la ville de Bordeaux d’assister ce dernier dans son office et de lui verser les mêmes gages que ses prédécesseurs (C61/110, 6, membrane 5, 14).
S’il devient le principal médiateur entre le roi d’Angleterre et la jurade, ses autres fonctions ne relèvent plus que de l’ostentation : il représente la Commune lors d’ambassades, de négociations ou de réceptions d’étrangers.

Notes, sources, crédits

Auteurs :
Textes de Maëlys Letteron et Frédéric Boutoulle (UMR Ausonius), reproduits avec leur aimable autorisation.

Sources principales :
– @ L’Aquitaine ducale
– @ The Gascon Rolls Project
> Et de nombreux travaux scientifiques disponibles ici.

Crédits :
– Figure 1 et 5 : Bibliothèque d’Agen, Livre des statuts et des coutumes de la ville d’Agen, ms 0042, folio 47, XIIIe siècle.
– Figure 2 : H. Salomé, Wikimedia Commons.
– Figure 3 : Bibliothèque nationale de France, Vigiles du roi Charles VII de Martial d’Auvergne, Français 5054, folio 229v, XVe siècle.
– Figure 4 : British Library, The Bruges Garter Book, Stowe 594, folio 8v, XVe siècle.

Dernières modifications : avril 2022