
HISTOIRE &
ARCHÉOLOGIE
La Gascogne épique

Walther
Attila, roi des Huns, entreprit de marcher sur l’Europe occidentale où régnaient Gibich roi des Francs, Herrich roi de Burgondie et Alpher roi d’Aquitaine. Afin de préserver la paix, les trois souverains furent contraints d’offrir des tributs et un otage de marque : pour Gibich – dont le fils n’était encore qu’un bébé – un jeune homme de grande distinction, pour Herrich sa fille et pour Alpher son fils. Walther d’Aquitaine, Hildegonde de Burgondie et Hagen le franc, encore enfants, furent ainsi envoyés à la cour des Huns où Attila ordonna qu’on les éduquât comme ses enfants et où, les années passant, ils se lièrent par l’engagement et l’amitié sincère. Walther et Hagen, surpassant en prouesses guerrières et bravoure tous les Huns, furent nommés à la tête de l’armée d’Attila ; Hildegonde, éduquée auprès de la reine, se fit confier la garde du trésor royal. Mais une nuit, ayant appris que le nouveau roi des Francs, Gunther fils de Gibich, refusait de renouveler le serment qu’avait prêté son père envers les Huns, Hagen s’échappa de sa captivité. Pour ne pas en plus perdre Walther, Attila proposa à ce dernier d’épouser une fille
Hun. Mais le jeune chevalier aimait Hildegonde et Hildegonde l’aimait. Alors, un soir de banquet, ils enivrèrent Attila et sa cour puis profitèrent de l’ivresse générale pour quitter le royaume, non sans avoir emporté avec eux une partie du fabuleux trésor du chef hun : deux coffres emplis de bracelets, le casque du roi, sa cotte à triple rang de mailles et sa cuirasse (d’écaille ?) forgée par le légendaire Wieland (comme son épée, Mimming). Ils voyagèrent longtemps, progressant la nuit et se cachant le jour, puis traversèrent enfin le Rhin, frontière des terres libres. Apprenant leur présence sur son territoire et surtout celle du trésor, le roi Gunther rassembla douze hommes, dont Hagen qui obéit à contrecœur, pour les traquer. Rattrapé dans les Vosges, Walther affronta un à un les hommes de Gunther et gagna chaque duel ; mais non sans perdre sa main droite. A la fin de la bataille, Hagen et Gunther firent la paix avec Walther qui rentra avec Hildegonde en Aquitaine où ils se marièrent et succédèrent à Alpher pendant trente bonnes années de règne1.
Remarques
Les aventures de Walther et le rôle des personnages varient d’un manuscrit à l’autre, mais certains éléments gardent une importance récurrente : l’épée et l’armure, le trésor, Attila, Hildegonde, Hagen, les combats…
Mis à part l’Enéide de Virgile, si certains ont vu dans les sources qui ont inspiré le Waltharius des éléments d’origine germanique, méditerranéenne ou encore wisigothique, celle du Sud-Ouest de la France demeure la plus probable2. En effet, et même si plusieurs personnes historiques de Gascogne/Aquitaine peuvent avoir inspiré le personnage de Walther, comme Pépin II d’Aquitaine3, la ressemblance du héros avec le duc Gaïfar est frappante4. Outre le nom5, il existe plusieurs points communs entre Walther et Gaïfar dont la question de la richesse et surtout celle des bracelets. Ces derniers sont concernant Gaïfar au cœur d’une légende tenace : ce sont les fameux « baus de Gaifier » – comprendre « bracelets de Gaifier » –, des armilles en or incrustées de pierres précieuses, notamment chantées par le poète gascon Marcabru6. Le Waltharius serait un exemple caractéristique du passage de l’oralité à l’écriture : l’auteur aurait changé des parties du schéma traditionnel et évoqué ou détruit certains motifs pour donner un nouveau sens à l’œuvre intégrée dans un nouvel univers nibelungien ; ce qui expliquerait ainsi les nombreux liens que le Waltharius possède notamment avec el romance de Gaiferos, légende espagnole dont la source originelle serait la même7, une source liée à la figure de Gaifier8, lui-même inspiré du duc Gaïfar.
Le Waltharius a lui-même eu une influence considérable, faisant entrer Walther dans l’imaginaire anglo-saxon (Waldere), italien (Chronicon novaliciense), allemand (Le chant des Nibelung) et norrois (Thidreks saga)9. Il est également possible que le personnage de Walther fût par la suite réinjecté dans l’imaginaire carolingien, car on trouve dans la Chanson de Roland un certain « Gualter de l’Hum » ou « del Hum », autrement dit « Walther le Hun »10.
AUtres heros
Sources, crédits
Auteur :
Textes de Benjamin Caùle (OCG).
Notes :
1 A. Vendel, « Waltarius (Walter D’aquitaine) : texte latin du Xe siècle », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, 2e période, LXXVIe année, 3e série, XXIVe année, 1896 (pour tout l’élément biographique).
2 S. MacLean : : « “Waltharius” : treasure, revenge and kingship in the Ottonian wild west », in Gilbert K., White S. D. (éd.) : Emotion, Violence, Vengeance and Law in the Middle Ages : Essays in Honour of William Ian Miller, Leiden, 2018, p. 228. ; A. Ghidoni : « Chansons de geste alla conquista dell’aquitania: Origini e funzioni di un segno-personaggio », in Barbieri A. et Bonafin M. (dir.) : L’immagine riflessa. Testi, società, culture. Tipologie e identità del personaggio medievale fra modelli antropologici e applicazioni letterarie, année XXIII, n° 1-2, 2014, p. 57. Le centre de gravité des noms géographiques qui sont associés à Walther (l’Aquitaine et l’Espagne) semble lui aussi désigner sans le dire – car elle n’est jamais mentionnée – la Gascogne, dont le territoire s’est de plus étendu sur ces deux espaces.
3 G. Pépin : « Les Aquitains et les Gascons au Haut Moyen Âge : l’affirmation de deux peuples », Bulletin de la Société de Borda, n° 479, 2005, p. 327.
4 G. A. Beckmann : Gualter del Hum, Gaiferos, Waltharius, Berlin, 2010, p. 166 ; Ghidoni, op. cit., p. 57.
5 Similitude non anodine entre les formes Gaifer/Waifer et Walter ; ainsi que de leurs formes latines respectives Waifarius et Waltharius (Ghidoni, op. cit., p. 54).
6 Ghidoni, op. cit., p. 44 ; J. M. Ziolkowski : « Walter of Aquitaine in Spanish Ballad Tradition », in Harris J. et Hillers B. (ed.) : Child’s Children Ballad Study and its Legacies, Trier, 2012, p. 176-177 ; A. Stodet : « À la recherche du ban perdu. Le trésor et les dépouilles de Waïfre, duc d’Aquitaine (f. 768), d’après Adémar de Chabannes, Rigord et quelques autres », Cahiers de civilisation médiévale, n° 168, 1999, p. 351 ; R. Lejeune : « Pour le commentaire du troubadour Marcabru : une allusion à Waïfre, roi d’Aquitaine », Annales du Midi, tome 76, 1964 n° 68-69.
7 V. Millet : « Oralidad versus escritura : teoría de una incompatibilidad y el ejemplo del romance de Gaiferos », in Toro Pascua M. I. (ed.) : Actas del III congreso de la asociación hispánica de literatura medieval (salamanca, 3 al 6 de octubre de 1989), tomo II, Salamanca, 1994, p. 656. ; V. Millet : Epica germanica y tradiciones epicas hispanicas : Waltharius e Gaiferos : la leyenda de Walther de Aquitania y su relacion con el romance de Gaiferos, Madrid, 1998, p. 184, 205.
8 Millet 1998, op. cit., p. 198.
9 MacLean, op. cit., p. 225.
10 Ghidoni, op. cit., p. 58.
Sources principales :
– Moine Gérald (?) : Waltharius, vers 880.
– Anonyme : Waldere, Xe siècle.
– Anonyme : La chanson des Nibelungen, XIIIe siècle.
– Anonyme : Thidreks saga, XIIIe siècle.
Données représentatrices de l’état des connaissances en : août 2022