
Le « mystère des Cagots » passe à la debunkère !

« La mystérieuse histoire des Cagots »
Par Hervé Barrouquère
Je tenais à revenir sur l’article un brin caricatural paru sur le site de FranceInfo à propos des Cagots.

La mystérieuse histoire des Cagots, un peuple maudit, parias de père en fils, à découvrir dans un musée unique en France
> Détail
Si vos pérégrinations estivales vous conduisent dans les Hautes-Pyrénées, il est un musée inattendu qui vous attend au château des Nestes à Arreau : le musée des Cagots. On y découvre l’histoire d’une communauté ostracisée, méprisée, humiliée pendant près de 1000 ans. Quant à savoir pourquoi…
Le phénomène d’exclusion des Cagots n’a jamais été homogène ni chronologiquement (du XIIIe siècle au XVIIe siècle), ni géographiquement.
Les règles à leur encontre ont énormément varié avec le temps et dans l’espace.
Les descriptions physiques n’ont jamais montré de traits communs à tous les Cagots et sont parfois tellement grotesques que cela semble un énième prétexte pour différencier une partie du corps social à tout prix, alors qu’ils n’étaient pas physiquement différents.
Tous n’étaient pas charpentiers. Bien que les métiers du bois leur ont généralement été confiés – le bois ne transmettant ni la lèpre ni le mauvais œil -, ils pratiquaient aussi d’autres activités artisanales. Les métiers liés à l’alimentation, notamment l’agriculture et l’élevage, leur étaient formellement interdits, mais ils se retrouvaient par conséquent affranchis d’un certains nombre d’obligations. Si on ajoute à cela le fait que certains d’entre eux étaient très bien rémunérés pour leur travail de charpentier (la noblesse locale ne rechignait pas à traiter avec eux : cela montre bien le fait que cette exclusion est surtout le fait d’un fonctionnement interne à la paysannerie et n’engage en rien une origine ethnique ou religieuse), cela ne faisait qu’accroître le ressentiment à leur égard de la part des paysans. D’autres restaient dans une pauvreté relative selon les terroirs. Dans d’autres lieux encore, le peu de règlements les concernant semble montrer une forme d’indifférence.
Même si certaines photos (comme dans l’article) de soi-disant cagots laissent supposer chez le lecteur non averti le soupçon de relations matrimoniales sévèrement endogames (alors que ces photos volontairement marquantes ne représentent souvent rien d’autre que des individus atteints de rachitisme, de nanisme ou de carence en iode), les cagots échappaient étonnamment à la consanguinité, les autorités les obligeant à contracter des mariages entre cagots de cagoteries parfois très éloignées.
Enfin, tous les Cagots n’avaient pas l’obligation de rentrer dans l’église locale par une petite porte (quels règlements évoquent cette contrainte ?). D’ailleurs, combien de ces portes dites des Cagots ont-elles réellement servi à cela ? Les églises de manière générale en France avaient souvent une petite entrée côté nord : la porte des Morts ou veyrine, généralement comblée à un moment donné. Quoi de mieux pour ajouter au lourd dossier des Cagots et noircir davantage au XIXe siècle le tableau d’un Moyen-âge détesté ?
Le point commun malgré tout reste l’invocation d’une maladie imaginaire ayant frappé leur lignée : la lèpre blanche, soi-disant héréditaire, justifiant à elle seule la mise à l’écart (mais pas trop).
La lèpre était, au Moyen Âge, une maladie perçue comme une punition morale : ce n’est donc pas n’importe quelle maladie dont on accuse ces familles d’être porteuses. Par ailleurs, ils ne sont pas considérés dans les premiers textes médiévaux comme un peuple distinct susceptible d’avoir une origine différente (cela viendra plus tard, peut-être pour tenter d’excuser l’inexcusable a posteriori).
Cette exclusion se superpose en grande partie avec le Midi gascon, celui de l’hérédité absolue dans les héritages, celui des communautés paysannes avec un petit pouvoir localcf, celui surtout qui a vu le phénomène des castelnaux puis des bastides réorganiser complètement l’espace rural : les maîtres d’hier, paysans propriétaires, voient échapper à leur emprise ceux d’en dessous, les botoyers, qui peuvent bénéficier désormais d’avantages inédits en s’installant dans les villes neuves de ce grand sud gascon. Nous sommes alors au XIIIe siècle, moment où justement une partie de la population locale se retrouve reléguée d’abord sous le nom de chrestians, puis ultérieurement sous le nom de cagots (le cartulaire de Lucq, bien connu pour la mention très antérieure d’un chrestian, n’évoque pas la même chose, le contexte du passage concerné ne laisse aucun doute et a été écarté par les spécialistes de la société médiévale gasconne). Ce phénomène est donc immédiatement contemporain de la mutation féodale locale liée à l’encellulement des campagnes gasconnes (mais aussi basques, puisque ce phénomène déborde aussi en partie sur la zone bascophone, très liée à la zone gasconne historiquement et socialement, partageant notamment le système à maison, connu jusqu’en Bigorre en passant par le Béarn et probablement le sud de la Chalosse).
En conclusion, qui étaient donc les Cagots ?
Des Gascons marginalisés, devenus avec le temps de véritables parias, boucs-émissaires des fantasmes populaires de leurs temps.
À l’origine, il ne s’agit probablement que d’une population lésée ou indirectement victime du chamboulement socio-territorial du XIIIe siècle : quand une nouvelle frange de la société paysanne jusque là dévaluée (botoyer) accéda à un bien meilleur statut social (besi), elle ne manqua pas, pour se distinguer de ceux qui n’avaient pas eu sa chance, de tout faire pour se démarquer de ses nouveaux « inférieurs », ceux dont l’accès à la propriété avait échappé, artisans et marchands sans terres, mais aussi ceux des premiers faubourgs ou de certains quartiers périphériques ne jouissant pas des mêmes statuts juridiques que les bourgs.
Plusieurs chercheurs ont publié quelques études sérieuses qui partent des sources disponibles et non de synthèses grand public alliant fantasmes morbides sur le Moyen âge à un sensationnalisme déplacé :

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Les Cagots, histoire d’une ségrégation
par Benoît Cursente, 2018
Cet ouvrage, toujours en vente car réédité en raison de son succès, est une excellente entrée pour comprendre cette histoire. Il bénéficie d’une solide bibliographie et tord le cou à de nombreuses idées reçues. Cursente est spécialiste de la société gasconne au Moyen Âge.

> + d’infos
L’enigme des Cagots
par Gilbert Loubès, 2006

> + d’infos
Les Cagots du Béarn
par Alain Guerreau et Yves Guy, 1988
L’historien intègre quelques généalogies de familles de cagots du Piémont pyrénéen, ce qui peut être toujours utile quand on a des ancêtres dans le territoire concerné.

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Au-delà de la rivière. Les Cagots : histoire d’une exclusion
par Paola Antolini, 1991
Une mine : outre un recours aux sources, l’auteur a mené une collecte de témoignages, faisant ainsi le va-et-vient entre données historiques et ethnologiques.

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Des lépreux aux Cagots
par Françoise Bériac,1990
L’historienne étudie en profondeur le processus d’exclusion sanitaire et nous immerge dans les mentalités médiévales. On y découvre que la lèpre n’était alors pas du tout perçue comme les autres maladies.

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Histoire des races maudites de la France et de l’Espagne
par Francisque Michel, 1847
L’auteur, historien médiéviste, y montre que le processus d’exclusion n’est pas isolé et confirme ainsi ce que l’on comprendra bien plus tard, grâce aux données de l’ethnologie et de l’étude de sociétés plus exotiques : certaines sociétés ont eu besoin de connaitre un processus d’exclusion partielle d’une partie de ses membres pour trouver un équilibre.

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